— Doit plus y en avoir beaucoup ces temps-ci, répondit une voix. L’espoir de devenir un bel officier s’envole vite. Pas le temps d’être obergefreiter que le triangle vous est distribué à titre posthume.
Quelques-uns trouvèrent le moyen de se marrer quand même. Puis un major, commandant probablement le camp, nous fit réunir et nous adressa la parole.
— Fiers soldats de la « Gross Deutschland » nous qualifia-t-il. Votre arrivée dans notre secteur nous comble de joie. Nous connaissons votre valeur au combat et nous nous sentons de ce fait très fortement soutenus. Vos camarades des régiments d’infanterie qui se battent dans les forêts polonaises proches de notre frontière, ressentiront certainement, eux aussi, ce que je vous explique. Votre arrivée parmi nous nous réconforte au plus haut point et nous aide dans la tâche si difficile qui nous incombe : être les défenseurs de la liberté allemande et européenne. Liberté que les bolcheviks essaient de nous arracher en employant les moyens les plus démentiels. Aujourd’hui plus que jamais, notre union dans le combat doit être totale et délibérée. Avec vous en plus, nous allons édifier le rempart définitif qui clouera sur place la meute soviétique. Songez, soldats allemands, que vous êtes les pionniers de la révolution européenne et que vous devez vous sentir fiers d’avoir été choisis pour cette tâche, aussi lourde soit-elle. Je vous souhaite donc la plus grande gloire et vous transmets les félicitations, du haut commandement et celles du Führer. Des véhicules et des vivres ont été mis tout spécialement à votre disposition pour vous aider à parachever votre action. Bravo, soldats, et courage. Je sais que tant qu’un soldat allemand veillera, aucun bolchevik ne piétinera notre sol.
Nous regardâmes le beau major dans son bel uniforme, ahuris, étourdis, essayant de déchirer le voile d’inconscience qui nous masquait notre vraie valeur.
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Puis on nous fit changer de place.
— Je suis fou ou quoi, murmura Kellerman. Il comptait sur nous pour lui remonter le moral.
— Ta gueule ! fit Prinz, voilà un autre discours.
Cette fois c’était un hauptmann qui venait de prendre la parole.
— J’ai l’honneur de prendre sous mon commandement les deux tiers de l’effectif de votre régiment et de l’emmener au feu à mes côtés. (Chacun savait ce qui nous attendait, mais cette phrase-là nous fit encore ravaler notre salive.) La division entière va opérer dans un secteur situé un peu plus au nord. Elle sera fractionnée en plusieurs tronçons afin de porter des coups disséminés au boutoir russe terriblement puissant par ici, souligna-t-il. J’attends de vous le plus vif courage et même des actions d’éclat. Il le faut ! Nous devons stopper le Russe dans ce secteur. Aucune négligence, aucun manque de sang-froid ne sera pardonné à quiconque. Trois officiers pourront former à tout instant un tribunal militaire et sanctionner sur l’heure…
(Frösch, mon pauvre Frösch ! Combien étaient-ils pour décider de te pendre ?)
— Nous vaincrons ici, ou la honte nous poursuivra. Jamais, vous m’entendez, jamais un bolchevik ne foulera le sol allemand. Maintenant, camarades, j’ai de bonnes nouvelles pour vous. Il y a du courrier, des citations, et des élévations de grade pour certains. Avant de donner libre cours à votre joie, vous devrez vous présenter au magasin d’approvisionnement pour y toucher des vivres et des munitions. Disposez.
Nous rompîmes les rangs sans pouvoir envisager clairement la situation.
— Ça promet, fis-je.
— Un salopard qui souhaite nous voir tous crever, grogna Halls.
Nous formions maintenant une interminable queue devant un grand baraquement.
— Et dire que c’est ça qui va remplacer Wesreidau. J’ai l’impression qu’on va en voir comme on en a pas encore vu, Prinz.
— C’est pas possible, on a tout vu.
— C’est un fou, grommela Halls.
— Non, il a raison, lança quelqu’un derrière nous.
Nous nous retournâmes perplexes.
— Il a raison, continua l’ancien, ce sera là ou jamais. Je ne peux pas vous expliquer cela comme ça, mais il a raison.
De plus en plus interloqués, nous continuions à dévisager notre camarade, sans mot dire, sans comprendre son attitude soudaine si différente.
— Je vous en reparlerai, continua Wiener. Je vous en reparlerai. Pour le moment, vous êtes trop cons pour comprendre.