Puis, un après-midi, ce fut le grand rassemblement pour notre groupe. On nous distribua cent vingt cartouches par fusil et quatre grenades offensives. Nous fûmes constitués groupe de choc et de protection avec huit autres camarades et un sous-off. Halls – (nous faisions tout pour demeurer ensemble) – s’était vu intituler mitrailleur ; notre groupe était donc formé de deux F.M. Spandau, trois fusils dont le mien, deux grenadiers armés de mitraillette et d’un lourd colis de grenades, et un sous-off. Nous fûmes dirigés en silence et avec mille précautions vers un des nombreux abris, près d’une grosse ferme, à proximité immédiate de la ligne de front. Une section blindée de la « Gross Deutschland » s’y trouvait également. De lourds engins chenillés du type Tigre et de gros obusiers tractés, admirablement camouflés, étaient là, immobiles sous des feuillages réels ou artificiels. Nous passâmes devant une table installée près des bâtiments où un scribouillard en uniforme relevait nos matricules sur un gros registre. À une autre table, un oberleutnant de cavalerie étudiait une carte, entouré de ses officiers de Panzer et de quelques sous-offs, au garde-à-vous. Toujours avec précision, et comme l’indiquait le papier sur lequel notre destinée avait été tracée, nous fûmes conduits hors de la ferme. Tout de suite à la lisière d’un bois je reconnus les larges tranchées d’acheminement qui menaient aux graben des premières lignes. Chacun d’entre nous pensa sans doute la même chose : cette fois nous y sommes ! Partout des groupes allaient prendre position.
Nous formions la compagnie n° 5. À angle droit nous empruntâmes une tranchée d’acheminement qui nous mena dans le sous-bois. Les gars du génie avaient dû en baver pour ouvrir ce layon à travers toutes ces racines. Partout nous croisions des sections stationnées dans un quelconque abri qu’elles étaient en train de perfectionner. Il était à peu près 6 heures du soir et la chaleur épuisante de la journée commençait à s’atténuer.
Nous suivîmes la tranchée qui sortait du bois et zigzaguait à travers un petit vallonnement au sommet duquel d’autres futaies s’élevaient. Un officier, plongé dans la lecture d’une carte, nous indiqua notre chemin. Nous bifurquâmes sur la gauche, nous trouvant à nouveau sous le couvert des bois. Il faisait là une chaleur encore pire qu’à terrain découvert. Partout, des gars transpirant se bousculaient et cherchaient leurs positions respectives. Nous arrivâmes enfin à un grand abri à moitié couvert bondé de jeunes soldats des jeunesses hitlériennes.
— Halt ! commanda le sous-off qui nous conduisait. Répartissez-vous par ici, vous irez prendre vos positions quand l’ordre vous en sera donné. Votre feldwebel vous expliquera votre rôle.
Il nous salua et nous laissa avec les « Hitlerjugend ». Ceux-ci, serrés les uns contre les autres, assis par terre ou accroupis, conversaient gaiement. Je rejoignis Halls qui venait de déposer son MG‑42 et qui essuyait la sueur de son front.
— Merde, fit-il, j’avais moins de mal avec mon mauser, ce bon Dieu d’engin pèse son poids.
— Je reste auprès de toi, Halls, nous faisons partie du même groupe.
Et nous comparâmes nos deux mains gauches sur lesquelles avait été inscrit au tampon encreur le même « 5 K. 8 ».
— Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda Olensheim qui venait de s’approcher.
— Numéro de groupe, gefreiter, plaisanta Halls. Si tu n’es pas du huitième nous ne te connaissons pas.
Inquiet, Olensheim regarda sa main.
— N° 11, grand salaud, tu es dans le secret militaire ?
— Moi non, fit Halls sur le même ton rigolard, mais demande au caporal Lensen, il doit être au courant.
— Nous allons à un pique-nique, ricana Lensen, tout de même assez mécontent que son grade ne lui permette pas d’être dans le secret des dieux.
Un jeune hitlérien, beau comme une fille (une belle fille évidemment) s’approcha.
— Est-ce que les Soviets sont loyaux au combat ? questionna-t-il comme un footballeur qui se renseigne sur l’équipe adverse.
— Très ! fit Halls sur le ton d’une vieille dame dans un salon de thé.
— Je vous demande cela parce que je pense que vous êtes des anciens, fit-il alors que nous étions certainement du même âge.
— Un bon conseil, jeune homme, fit Lensen, afin que son minuscule grade serve quand même à quelque chose, tirez sur tout ce qui est russe sans réflexion. Les Russes sont les pires salopards que la terre ait jamais portés.
— Alors les Russes vont attaquer ? demanda Olensheim, blême.
— Nous attaquerons avant, fit le beau jeune homme sans réussir à durcir son visage de madone.
Il rejoignit ses camarades.
— Est-ce que quelqu’un va nous mettre au courant à la fin ? lança Lensen dans l’intention d’être entendu par le feldwebel.
— Ferme donc ta gueule, jeta un vrai ancien, vautré de tout son long, tu sauras bien assez tôt dans quel coin tu vas crever.
— Hououou, crièrent ensemble les plus proches « Hitlerjugend ». Quel est le chiasseux qui parle ainsi ?