Une référence directe à la parole ou au mensonge. Une allusion à Satan ? L’évangile selon Saint-Jean : «
— Et le lichen ?
— Là, Valleret n’a rien foutu. Il aurait dû envoyer un échantillon aux spécialistes de…
— C’est ce que tu as fait ?
— Tout le monde est sur le coup, je te dis. On se démène, mon vieux.
— Tes spécialistes, ils n’ont encore rien dit ?
— À priori, on trouve ça sous la terre, dans l’obscurité des grottes. Mais il faut procéder à des analyses.
Une intuition. La plante luminescente jouait un rôle précis. Elle devait faire la clarté sur l’œuvre du tueur. C’était un projecteur naturel sur la cage thoracique soulevée de larves, rongée de pourriture… Une lumière venue des profondeurs. Un autre nom du diable était « Lucifer », en latin « le porteur de lumière ».
À cet instant j’eus un flash.
Le corps de Sylvie Simonis était, symboliquement, constellé de noms.
Les noms du diable.
Belzébuth, le Seigneur des mouches.
Satan, le Maître du mensonge.
Lucifer, le Prince de la lumière.
Une sorte de trinité marquait le cadavre.
Une trinité inversée — celle du Malin.
Le symbole grossier du crucifix n’était qu’un indice pour déchiffrer les signes plus sophistiqués du corps lui-même. Mon tueur ne se prenait pas seulement pour un serviteur du diable. Il représentait, à lui seul, toutes les figures consacrées de la Bête. Svendsen me parlait encore :
— Ho, tu m’écoutes ?
— Excuse-moi. Tu disais ?
— J’ai fait des agrandissements des morsures. Ces trucs-là me travaillent.
— Qu’est-ce que tu peux en dire ?
— Pour l’instant, rien.
— Super.
— Et toi ? Où tu es exactement ? Qu’est-ce que tu fous ?
— Je te rappelle.
Svendsen avait dû me parler du scarabée mais je n’avais rien entendu. Cette omniprésence du diable me plongeait dans un malaise indéfinissable. Quelque chose qui dépassait le dégoût habituel des meurtres. Une Camel à la rescousse, et le numéro de Foucault :
— J’ai lu le dossier, c’est dingue, dit-il tout de suite.
— T’as lancé la recherche, à l’échelle nationale ?
— Un message interne. J’ai aussi consulté le SALVAC et passé des coups de fil.
— Quelque chose est sorti ?
— Rien. Mais si le tueur a déjà frappé, ça sortira. Sa méthode est plutôt… originale.
— T’as raison. Les éleveurs d’insectes ?
— C’est dans les tuyaux.
— Les labos ?
— Idem. Ça prendra quelques heures.
— Contacte Svendsen. Il te donnera une liste plus large de sites chimiques.
— On est pas arrivés, Mat, je…
— Notre-Dame-de-Bienfaisance ?
— J’ai l’histoire du monastère. Rien à signaler. Aujourd’hui, c’est un refuge pour des missionnaires qui…
— Tu n’as rien d’autre ?
— Pour l’instant, non. Je…
— Ce que je t’ai demandé, ce n’est pas de consulter Internet. Arrache-toi, merde !
— Mais…
— Tu te rappelles l’unital6 ? L’association à qui Luc a envoyé des e-mails. Vois s’ils n’ont pas un lien avec Bienfaisance.
— D’accord, c’est tout ?
— Non. J’ai un autre truc à te demander, plus compliqué.
— Tu me rassures.
Je résumai l’histoire de Thomas Longhini. Quatorze ans, accusé d’homicide involontaire en janvier 1989. Mis en examen par le juge de Witt, interrogé par le SRPJ de Besançon, puis relâché. J’expliquai le changement de nom, l’absence totale de piste.
— Coton, ton truc.
— Foucault, je le répéterai pas. Tu bosses pas aux télécoms. Fais-toi aider par les autres. Et trouve-moi quelque chose !
Le flic grommela une réponse puis revint aux civilités :
— Et toi ? Ça va ? Tu avances ?
Je scrutai autour de moi la forêt rouge qui sombrait dans les ténèbres. J’avais toujours l’estomac au bord des lèvres et des fantômes plein la tête.
— Non, murmurai-je, ça ne va pas. Mais c’est le signe que j’avance dans la bonne direction.
Je raccrochai et tournai la clé de contact. Les sapinières, les collines nues, les nuages bas se mirent en mouvement. Une neige diaphane saupoudrait l’atmosphère. J’empruntai la rocade et longeai les cités colorées qui cernaient Sartuis.
Je remarquai des bâtiments de crépi blanc aux volets bordeaux. La cité des Corolles. Là où Manon avait disparu, un soir de novembre 1988. Je ne ralentis pas mais, à travers mes vitres, je sentis le froid, la solitude de ces édifices sur lesquels l’hiver rabotait déjà les jours.
Au bout d’un kilomètre, des bunkers de béton apparurent, en contrebas de la route, enfouis sous les mélèzes. Ralentissant, je distinguai des canalisations, des tuyaux coudés, des bassins rectangulaires.
Le site d’épuration.
Le lieu du crime.
Je cherchai un renfoncement pour me garer. Je saisis dans mon sac ma torche électrique, mon appareil numérique et me mis en marche. Il n’y avait pas de sentier. Les roches, qui saillaient parmi les fougères, étaient d’un rouge funeste, maculées de mousses verdâtres. Je plongeai dans les broussailles.