— Sois à la gare demain matin.
En raccrochant, je pris conscience du mugissement du vent qui s’engouffrait dans le chambranle de la fenêtre. Le châssis sifflait comme une bouilloire. J’avais choisi un des lits de la rangée de droite et ouvert les rideaux du voisin, afin de poser mon sac et son dangereux chargement.
Malgré ma fatigue, je me décidai pour une prière. Je m’agenouillai au pied du lit, le long des voiles tendus. Un « Notre Père ». La plus simple, la plus lumineuse des prières. Le bâton avec lequel j’avais sillonné mon propre chemin. Ce « Notre Père », c’était mes genoux épuisés des premières messes, où l’impatience d’aller jouer précipitait mes mots. La grande immersion de Saint-Michel-de-Sèze, quand j’avais découvert la profondeur de ma foi. La litanie zélée, musclée, du futur prêtre galvanisé par les cloches de Rome. Puis l’appel au secours, en Afrique, cerné par l’odeur des cadavres et les crissements de machette. C’était enfin la prière du flic, prononcée au hasard des églises rencontrées, pour me laver de mes propres crimes.
Un bruit strident retentit dans le couloir.
Je sursautai et tendis l’oreille. Rien. Je baissai les yeux : je tenais déjà mon 9 mm. Le réflexe avait été plus rapide que ma conscience. J’écoutai encore. Rien. Je songeai à une sirène d’alarme. Une alerte d’incendie.
À l’instant où mon corps se détendait, la dissonance reprit, longue, grinçante, obstinée. Je bondis vers la porte. Le temps que je l’ouvre, le silence était revenu, encore une fois. Je me postai sur le seuil et lançai un regard dans le couloir. Personne en vue. À gauche, la porte coupe-feu du presbytère. À droite, la porte vitrée du dehors. Tout était immobile.
Mon attention se fixa sur la cellule de bois, à quelques mètres de l’issue de secours. Je compris ce que je venais d’entendre. La sonnerie du confessionnal. Le rideau d’un des compartiments oscillait.
Le père Mariotte devait ronfler comme une masse. Je glissai mon HK dans mon dos et marchai lentement vers le box. À cinq mètres je m’arrêtai. Une lueur verdâtre traversait le rideau. Je songeai à attraper de nouveau mon flingue mais me raisonnai. Je repris ma marche en silence.
J’attrapai le rideau et l’écartai violemment.
La cellule était vide.
Mais une inscription barrait la cloison du fond.
D’instinct, je reconnus la matière stigmatisée sur le bois noir.
Le lichen luminescent qui tapissait les chairs pourries de Sylvie Simonis.
L’inscription disait :
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L’appât frémissait à la surface de l’eau.
Je suivis des yeux le fil et aperçus, entre les feuillages, l’extrémité de la canne à pêche. Je me souvins qu’on appelait cette partie effilée la « soie » ; cela ajoutait encore à la légèreté de la scène. Le nylon brillait dans la lumière matinale — il était à peine dix heures.
Après la sinistre découverte de l’inscription, j’avais effectué un tour complet du presbytère et de son annexe : personne. J’avais réveillé Mariotte qui n’avait formulé qu’une réplique : « Du vandalisme. Du simple vandalisme. » Je n’avais eu aucun mal à le persuader de ne pas appeler les gendarmes. Selon lui, ce n’était pas le premier acte de malveillance contre sa paroisse.
J’avais proposé de nettoyer le « graffiti ». Mariotte était reparti se coucher sans se faire prier et j’avais effectué, en toute tranquillité, des prélèvements du lichen tout frais, après avoir photographié la scène. à mesure que mon flash numérique éclaboussait ce « JE T’ATTENDAIS », ma certitude s’affermissait : cette phrase s’adressait à moi.
Impossible de dormir. J’avais allumé mon Mac portable et consigné par écrit les faits depuis mon arrivée. Bon moyen pour éviter de cogiter encore sur celui qui avait inscrit ces lettres dans le confessionnal. J’intégrai les images shootées et scannai les documents que je possédais : le rapport de Valleret, le plan de la région, sur lequel j’indiquais maintenant chaque lieu et chaque personnage visité, les notes de Plinkh…
À six heures du matin, dans le bureau du presbytère, j’avais dégoté une photocopieuse. J’avais effectué deux reproductions du rapport d’autopsie, l’une destinée à Foucault, l’autre à Svendsen, puis j’avais préparé le colis du Suédois — mes échantillons luminescents, le scarabée, le lichen trouvé sur le corps de Sylvie.
J’hésitais à envoyer aussi le crucifix — un banal objet liturgique, plutôt de mauvaise fabrication. Je décidai de le garder. J’avais procédé moi-même au relevé d’empreintes : rien, évidemment. Quant au sang coagulé, j’en avais ajouté un sachet « pour analyses » à Svendsen.