Je parlai de Doudou, de la séance de Rungis, des mensonges et des saloperies qui marquaient déjà mon enquête. Je parlai des boîtes africaines, des tentations qu’elles avaient fait naître en moi. Je parlai de Foxy, de la réalité immonde qu’elle représentait et du pacte que j’avais dû sceller avec elle. J’évoquai cette logique du pire, qui consiste à fermer les yeux sur un mal pour arrêter un autre mal, plus grave encore.
J’avouai ma lâcheté face à Luc — je n’avais pas eu le courage de passer à l’hôpital avant de partir. Et aussi mon mépris à l’égard de Laure, de ma mère, de tous ces flics que j’avais croisés le matin même à la chapelle.
Stéphane écoutait, les yeux fermés. Je compris, en parlant, que je péchais encore. Mes regrets n’étaient pas sincères : je jouissais de ce moment de partage, de sérénité. C’était encore un plaisir, là où il aurait dû y avoir contrition, pénitence.
— C’est tout ? demanda-t-il enfin.
— Ça ne te suffit pas ?
— Tu fais ton métier, non ?
— Ce n’est pas une excuse.
— Ça pourrait être une excuse pour sombrer dans la paresse du péché, de l’indifférence. Il me semble que tu en es loin.
— Je suis donc absous ? (Je claquai des doigts.) Comme ça ?
— Ne sois pas ironique. Récitons ensemble une prière.
— Je peux la choisir ?
— Ce n’est pas à la carte, mon petit. (Il sourit :) Quelle prière voudrais-tu ?
Je murmurai :
— Thérèse de Lisieux ?
Quand nous étions adolescents, avec Luc, nous méprisions les femmes célèbres de l’histoire chrétienne. Sainte Thérèse d’Avila : une hystérique. Sainte Thérèse de Lisieux : une simplette. Hildegarde von Bingen : une illuminée… Mais avec l’âge, je les avais découvertes et elles m’avaient subjugué. Ainsi, la fraîcheur de Thérèse de Lisieux. Son innocence était une quintessence. La pure simplicité chrétienne…
— Pas très orthodoxe, grogna Stéphane. Mais si tu y tiens…
Il chuchota :
Je repris la suite avec lui :
Le contraste entre le visage usé, érodé, du prêtre et ces mots bondissants, impatients, m’émut aux larmes. Aux derniers mots, je baissai la tête. Le prêtre forma la croix sur mon front.
— Va en paix, mon fils.
Soudain, je compris ce que j’étais venu chercher ici. Un effet d’anticipation. Une absolution, non pas pour mes fautes récentes, mais pour celles à venir…
Stéphane dit d’un ton familier — il avait compris lui aussi :
— C’est tout ce que je peux faire pour toi. Bonne chance.
II
SYLVIE
26
Je me réveillai sur une aire d’autoroute.
Hors du temps, hors de l’espace.
Dans un demi-sommeil, je consultai ma montre : quatre heures dix du matin. Je devais me trouver quelque part entre Avallon et Dijon. Aux environs de minuit, j’avais décidé de me reposer un moment sur une aire de stationnement. Résultat, quatre heures de coma sans souvenir…
Ankylosé, je sortis de la voiture. Des poids lourds dormaient sur le parking. Les arbres se tordaient violemment dans le vent polaire. Je pissai en toute rapidité puis rentrai dans l’Audi, grelottant.
J’allumai une cigarette. La première taffe m’arracha la gorge. La seconde brûla mon larynx. La troisième fut la bonne. Des lumières, au loin. Une station-service. Je tournai la clé de contact. D’abord, le plein. Ensuite, un café, en urgence.
Quelques minutes plus tard, j’étais de nouveau sur la route, révisant mentalement les informations que j’avais glanées sur ma destination. Le Doubs serpentait jusqu’à 1 500 mètres d’altitude, à cheval entre la France et la Suisse. Sartuis se trouvait dans la partie haute du fleuve, au sommet d’une zone formée de paliers géologiques et creusée de petites vallées. Tout en roulant, je tentai d’imaginer ces territoires, à peine français et pas encore suisses. Un vrai no man’s land.
Besançon, sous les premières lueurs du jour.
La ville était construite dans un trou, sur les vestiges d’une forteresse. À mesure qu’on descendait vers le centre, ce n’était plus que remparts, douves et créneaux, entrecoupés de jardins. Le tout évoquait un parcours d’entraînement commando, où il faut courir, grimper, sauter, s’abriter…