Depuis des années, Beltreïn cache son jeu. Célibataire, sans vie personnelle ni autre passion que son métier, il passe pour le savant parfait, dévoué à ses travaux. En réalité, c’est un maniaque, un pervers, obsédé par le mal et sa transcendance. Il pense que l’expérience du coma est une
Mais Luc ne se souvient de rien. En revanche, ses actes parlent pour lui. Tortures sur des animaux. Sexualité morbide. Goût de la solitude. Luc est un tueur en puissance. Un abcès prêt à crever. Beltreïn suit cette transformation avec avidité et la nourrit — c’est l’ombre portée des ténèbres, la force noire revenue sur terre pour le renseigner.
Un jour, enfin, Luc se souvient. Le tunnel. La lumière rouge. Le givre brûlant. Le vieillard albinos. Beltreïn prend des notes. Enregistre le gamin. L’étudie sous toutes les coutures.
Luc est son cobaye.
Mais aussi son conteur, son navigateur, son Homère.
Et bientôt, son maître.
À douze ans, Luc tue le chien de Beltreïn, par jeu, par provocation. Le médecin n’a plus de doute : l’enfant est bien un messager du diable. Il lui jure allégeance. Il est prêt à suivre ses ordres, qui ne sont que les volontés de « là-bas ».
Beltreïn décide d’adopter officiellement Luc — sa mère vient d’être internée pour alcoolisme chronique. Puis il se ravise : il devine que l’enfant aura besoin d’une couverture discrète, anonyme. Il faudra le protéger contre les lois, la justice, le pauvre système des humains.
Luc est un monstre.
Un envoyé du diable.
Beltreïn sera son ombre, son apôtre, son protecteur.
Il inscrit le jeune garçon à Saint-Michel-de-Sèze.
Luc découvre l’éducation catholique. Il s’infiltre chez l’ennemi et il aime ça. C’est à ce moment qu’il rencontre un jeune croyant naïf et idéaliste — moi. « Tu es devenu mon sujet d’observation, souligne Luc. Mon sujet d’expériences. »
Le mal progresse en lui. Les meurtres d’animaux ne suffisent plus : il doit passer au sacrifice humain. Dès qu’il le peut, il s’enfuit de Saint-Michel et rôde dans les villages voisins, en quête de victimes. Un jour, il rencontre Cécilia Bloch, neuf ans. Il l’attire dans une forêt et la brûle vivante en la pulvérisant avec un aérosol enflammé.
Cécilia Bloch.
La petite qui m’a tant obsédé.
Le crime qui hante mes nuits depuis vingt ans. Luc Soubeyras est donc l’auteur du meurtre fondateur. Mensonge absolu de mon destin. Je me sens emporté par un torrent de boue et perds le fil de son discours. Je dois faire un effort surhumain pour me concentrer à nouveau sur sa voix.
Cette nuit-là, après l’autodafé, Luc disparaît. Le recteur du collège prévient Beltreïn. Fou d’angoisse, le médecin fait le voyage et ratisse les forêts avoisinantes : il connaît le goût de Luc pour les lieux sauvages, les ténèbres, la solitude. Il ne le trouve pas. Il plonge finalement dans le gouffre de Genderer et découvre l’enfant, prostré dans la grotte aux dessins. Affamé, perdu, Luc avoue son crime mais il est trop tard pour faire le ménage. Le corps est découvert. Par chance, Luc n’est pas soupçonné. Mais qui pourrait soupçonner un enfant d’un tel meurtre ?
Les années passent. Luc multiplie les assassinats. Chaque fois, Beltreïn s’occupe du corps, nettoyant la scène de crime. Luc est à la fois son maître et sa créature.
Pour l’enfant, chaque crime est un rituel de passage.
Un nouvel anneau du serpent, avant la mue complète.
Luc s’installe à Paris. Il a dix-huit ans. Il tue encore, de manière sporadique. Sans cohérence ni fil rouge. Il n’a pas encore saisi la logique interne de son destin.
Pour son anniversaire, Beltreïn lui fait une terrible révélation. Luc n’est pas seul dans son cas. Le médecin suisse lui parle des Sans-Lumière, sur lesquels il a effectué des recherches. Luc comprend qu’il a une « famille ». Il devine aussi qu’il a hérité d’une mission plus profonde.
Pas seulement faire le mal, mais l’engendrer, le multiplier…
Créer d’autres Sans-Lumière.
Devenir un pôle de lumière négative.
Beltreïn, chef de service au CHUV de Lausanne, sauve une autre enfant : Manon Simonis. Dès le lendemain, sa mère, bouleversée, lui révèle que l’enfant était possédée. Beltreïn la raisonne mais se dit que Manon est peut-être, elle aussi, une Sans-Lumière. Il convainc Sylvie de ne pas dévoiler sa survie. Il installe Manon dans un pensionnat suisse sous un nom d’emprunt et tente de reproduire l’histoire de Luc.
Mais la petite ne montre aucun signe de possession, aucune trace de pulsions négatives. Beltreïn refuse l’idée qu’il se soit trompé. Manon revient d’entre les morts. Elle est marquée par le diable. Il doit être patient : la pulsion maléfique se révélera plus tard.
Alors, il scellera les fiançailles du Mal : Luc et Manon.
Pendant ce temps, Luc poursuit son apprentissage.