Le Soudan d’abord puis, surtout, Vukovar.
Dans la ville assiégée, la violence est partout. Femmes enceintes brûlées vives, nouveau-nés arrachés des ventres au couteau, enfants aux yeux crevés. Une litanie d’horreurs dans laquelle Luc exulte. Il participe à ces orgies de sang. Il est pris d’une ivresse, d’une allégresse sans limites. Satan est bien le Maître du monde !
Luc retourne en Afrique. Quelques mois au Liberia, après l’assassinat de Samuel K. Doe. Il y contracte un goût nouveau : le déguisement. Il se mêle aux tueurs affublés de masques. Il arbore lui-même des trognes de grand-mère ou de zombie quand il tue, viole, pille…
Nouvelle métamorphose. Luc devient flic. Il sème la terreur, la corruption, la violence, en toute impunité. Parfois, il mène l’enquête sur ses propres crimes. D’autres fois, il traque des concurrents — des tueurs. S’ils sont médiocres, il les arrête. S’ils possèdent quelque vice particulier, une originalité, il les laisse courir. C’est une période faste. Luc tire les ficelles. Il saborde le système judiciaire de l’intérieur. Il est aux premières loges pour truquer, voler, tuer, et miner la société humaine.
Il est à la fois l’esprit du Malin et son instrument.
Luc prend soin aussi de se marier, puis d’avoir deux enfants. Un nouveau masque. Infaillible. Qui suspecterait un honnête père de famille, flic intègre, catholique pratiquant ?
Mais Luc n’a pas oublié son projet : créer ses propres Sans-Lumière.
Au milieu des années quatre-vingt-dix, Beltreïn entend parler de l’iboga noir. Il connaît déjà les substances chimiques qui peuvent reproduire des états proches de la mort, mais il n’a jamais étudié les propriétés de la plante africaine. Beltreïn se renseigne à Paris. Il plonge dans le milieu africain. Il rencontre Massine Larfaoui qui lui procure la plante psychoactive.
Sans hésiter, Luc s’injecte le poison et n’en retire qu’une déception. L’iboga noir est une imposture. Rien à voir avec ce qu’il a connu, lui, au fond de la caverne. Pourtant, la racine peut lui permettre de « préparer » ses Sans-Lumière, moyennant quelques aménagements.
Beltreïn est appelé au chevet d’un miraculé en Estonie : Raïmo Rihiimäki. Le cas est parfait. Un jeune musicien gothique nourri de rock satanique, défoncé jusqu’aux yeux. Son père soûlard a tenté de le tuer, à bord de son bateau de pêche.
Luc rejoint Beltreïn à Tallinn. Raïmo est encore à l’hôpital. Dès la première nuit, Beltreïn lui injecte le produit africain, associé à d’autres substances psychotropes. L’Estonien commence son voyage. Il quitte son corps, voit le couloir, les ténèbres rougeoyantes, mais conserve une semi-conscience.
Luc apparaît alors dans la chambre, à genoux, déguisé en petit garçon. Il s’est confectionné un mufle raclé, tailladé, dégoulinant de sang. Raïmo est horrifié, mais aussi subjugué. Luc lui parle. Raïmo boit ses paroles. Le Serment des Limbes selon Luc Soubeyras…
À sa sortie de l’hôpital, le musicien est convaincu d’agir au nom du diable. Il doit désormais semer le mal et la destruction. Parallèlement, Luc et Beltreïn s’occupent du père de Raïmo. Luc a mis au point un protocole. Hanté par la décomposition des corps, il pourrit volontairement l’organisme de sa victime. Secondé par son parrain, il lui injecte des acides, des insectes, jouissant de contempler la dégénérescence à l’œuvre, à la lumière du lichen dont il lui enduit l’abdomen. Il dégrade ses chairs au point de les déchirer. Il les taillade à coups de dents de fauve. Il coupe la langue au vieil homme.
Luc est à la fois Satan, Belzébuth, Lucifer.
Il a enfin trouvé sa méthode.
Le modus operandi qui le fait jouir jusqu’au vertige.
Beltreïn suggère d’autres cas à Luc, dont celui d’Agostina. Les apparitions se multiplient, les meurtres s’affinent. Luc répand son sillage de terreur et de pourriture sur la Terre. Il est Pazuzu, celui qui infeste la Terre…
Il est temps de s’unir à sa « fiancée ».
Pour honorer l’événement, Luc et Beltreïn décident d’abord de venger Manon. Luc procède au sacrifice dans une grange du Jura. Le martyre de Sylvie dure une semaine. Puis il apparaît à Manon déguisé en écorché vif. Rien ne fonctionne comme prévu. Malgré les injections, malgré les mises en scène de Luc, la jeune femme ne conserve jamais de souvenir de ses « visites ».
Manon n’est décidément pas douée pour le diable.
Elle ne sera jamais une Sans-Lumière.
Dans cette résistance, Luc voit un signe. Il est temps d’achever le premier cycle de son œuvre. Temps d’éliminer Manon. Temps aussi de se débarrasser de sa première peau — celle du flic bourgeois, marié et père de deux enfants. Luc décide de tuer sa famille et de faire endosser ces meurtres à Manon. Il décide aussi de révéler à son « apôtre », son double inversé, la grandeur de son règne…