Читаем Le Serment des limbes полностью

Deux possibilités. Soit je me suis trompé et je renoncerai au premier obstacle. Soit Luc m’attend au fond, et il aura équipé le passage d’une manière ou d’une autre. Je prends conscience de deux sensations simultanées : l’humidité intense et le bruit de la ventilation artificielle.

— Indiquez-moi le chemin.

— Quoi ?

— Pour descendre vers la salle de bal.

Le gardien soupire :

— Au bout de la galerie, prenez l’escalier et suivez les panneaux. C’est éclairé. Ensuite, ouvrez l’œil. Y aura une porte de fer, sur la gauche. Le passage que je vous ai dit. Si vous êtes toujours d’attaque, passez de l’autre côté. Là, allumez les lampes avec le commutateur. Faites gaffe : assez rapidement, y a un puits.

— Je peux y descendre ?

— Pas facile. Des échelons sont fixés dans la roche, genre via ferrata. Au fond, vous trouverez une grande salle puis un premier siphon, où la flotte tombe de partout. Après, y a un autre puits, très étroit, qui s’ouvre sur une deuxième salle. Je suis même pas sûr : j’y suis jamais allé. Si par miracle vous êtes toujours en vie, vous devrez renoncer tout de même. À cause du lichen.

— Quel lichen ?

— Une variété qui émet un gaz toxique. Un truc luminescent. C’est ce genre de mousses qui empoisonnaient les égyptologues et…

— Je connais. Ensuite ?

— Y a pas d’ensuite. Vous arriverez pas jusque-là.

— Admettons que j’y sois.

— Eh ben vous serez plus très loin. À l’époque, l’éboulement avait poussé Soubeyras et son môme dans une chambre close. C’est là qu’ils sont morts. Depuis, on a creusé un passage pour accéder à la salle de bal — c’est superbe, j’ai vu des photos.

Sous mon poncho, mon corps est secoué de décharges. Terreur ou impatience : je ne sais pas. Le lichen est l’indice. Le dernier élément qui boucle le cercle. Luc m’attend dans cette salle, juste après l’antichambre de sa première mort.

— Vous avez parlé d’une porte en fer. Elle est fermée à clé ?

— Y a intérêt.

— La clé.

Le bonhomme hésite. De mauvaise grâce, il sort son trousseau et détache un passe. Je l’attrape, ainsi que le phare à main puis repousse le guide dans la cabine du monte-charge. Il tente de protester :

— J’peux pas vous laisser faire ça. Vous êtes pas couvert par les assurances !

— Je suis jamais couvert, dis-je en rabattant la grille. Si je ne suis pas de retour dans deux heures, appelez ce numéro.

Je griffonne les coordonnées de Foucault sur un des reçus d’autoroute et le glisse entre les treillis.

— Dites-lui que Durey a des problèmes. Durey : compris ?

L’homme ne cesse de dodeliner de la tête.

— Si jamais vous arrivez au siphon, attention au lichen. Soit vous passez en moins de dix minutes, soit vous y restez.

— Je m’en souviendrai.

— Vous êtes sûr de votre coup ?

— Attendez-moi là-haut.

Il hésite encore puis, enfin, se résout à actionner son tableau de bord :

— J’vous renvoie l’ascenseur. Bonne chance !

La cabine disparaît dans un tremblement de ferraille. Le vide s’abat sur moi, infiltré par le bruit de la ventilation et le clapotis des gouttes. Je tourne les talons, la lampe à l’épaule, et me mets en marche.

À cinquante mètres, un escalier à pic. Plusieurs centaines de marches, pratiquement à la verticale. Je m’accroche à la rampe. Des coulées brillent sur les murs, le plafond scintille de flaques, l’humidité est partout, pénétrante, gorgeant l’air comme une éponge.

En bas, nouveau panneau : « SENS DE LA VISITE ». Le rythme régulier des néons, fixés en hauteur, évoque un tunnel de métro. Au bout de cent mètres, je repère la porte, sur la gauche. Je fais jouer ma clé et cherche le commutateur. Une série d’ampoules, reliées entre elles par un seul câble, s’allument faiblement. De plus en plus lugubre : le boyau est noir, légèrement en pente. Je repousse mes appréhensions et avance, sans voir vraiment où je mets les pieds. Mes épaules accrochent les lampions, qui oscillent sur mon passage.

Soudain, la pente se casse à angle droit. Le puits. J’allume ma lampe et aperçois les échelons de fer sur la paroi opposée. Je teste du talon les premiers barreaux, éteins ma torche, la glisse en bandoulière puis attaque ma nouvelle plongée à reculons.

Une centaine de barreaux plus tard, je touche la terre ferme. Je ne vois rien mais l’air frais me renseigne : je me trouve dans un grand espace. « La première salle ». J’attrape mon phare et l’allume à nouveau. Je me tiens sur une coursive. À mes pieds, une caverne immense. Une vallée circulaire, qui rappelle un amphithéâtre romain.

Les plis dans la roche décrivent des myriades d’ornements. Des pics s’élèvent, des pointes s’abaissent, formant franges, piliers, dentelles. D’une manière absurde, mon esprit récite une vieille leçon de Sèze. « Stalactites : concrétions calcaires qui se forment à la voûte d’une grotte par l’évaporation de gouttes d’eau » ; « stalagmites : concrétions qui s’élèvent en colonnes du sol… »

Je me déplace sur la gauche, dos à la muraille, maintenant ma lampe devant moi, sans l’abaisser pour ne pas éclairer le vide.

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