Читаем Le passager полностью

Ils enjambèrent les corps. Se tenant à la paroi, Janusz crut se brûler au contact du ciment glacé. Les odeurs de pisse, de pourriture planaient en nappes immobiles, cristallisées. Il se cognait, trébuchait, butait contre les autres. Des grognements, des insultes lui répondaient. Ni des ennemis, ni des compagnons de galère. Seulement des rats qui cohabitaient.

Ils trouvèrent une place. Shampooing cala au creux de la courbe ses sacs dégueulasses. Janusz déplia ses cartons, en se demandant à quel moment le trépané allait tenter de lui faire la peau. Il plongea sous les emballages, en s’efforçant d’imaginer qu’il s’agissait de draps et de couvertures. Il attrapa, comme toujours, son couteau commando et le serra sous le carton qui lui servait d’oreiller.

Il se jura, comme la veille, de ne dormir que d’un œil. Comme la veille, il sentit le sommeil déferler sur lui à la manière d’une lame de fond. Il résista. Aux portes du néant, il se concentra sur son enquête. Fer-Blanc était une impasse. Quoi d’autre ?

L’enquête des flics de Marseille. Ils tenaient plus d’éléments concrets que ceux de Bordeaux. L’armature de deltaplane. La cire. Les plumes. Le tueur se les était bien procurés quelque part et ce n’étaient pas des produits ordinaires. Le dénommé Crosnier et son groupe avaient sans doute creusé la piste de chaque objet, chaque matériau. Avaient-ils dégoté quelque chose ?

Un nouveau projet suicidaire se forma dans sa tête. Se procurer le dossier d’instruction. Tenter le coup dès le lendemain matin. Il essaya d’imaginer une stratégie mais le néant s’abattit sur sa conscience. Quand il ouvrit les yeux, il braquait son couteau vers les ténèbres.

— Ça va pas, non ?

Shampooing se penchait sur lui. À travers les limbes du sommeil, il avait senti sa présence. Sa menace. Ses réflexes avaient fait le reste.

— T’es con ou quoi ? fit l’homme au bonnet. Tu vois pas qu’on est inondés ?

Janusz se releva sur un coude. Il était à moitié immergé. Ses cartons flottaient près de lui. Partout, la pluie crépitait. Des torrents de fange avaient pénétré dans le conduit. Les clochards étaient déjà debout, titubant, regroupant leurs paquetages.

— Magne-toi, fit le chauve en ramassant ses cabas. Si on reste là, on va geler !

L’eau montait à vue d’œil. Les sans-abri se détachaient sur la paroi convexe en ombres chinoises. Quelques-uns, trop bourrés, ne bougeaient pas. On les ignorait. On jouait des coudes, on se poussait pour sortir du boyau. C’était la panique, mais une panique lente, engourdie, poisseuse de boue et d’alcool.

Janusz repéra deux corps inanimés dont les visages baignaient dans la tourbe. Il attrapa le premier par le col, le remonta, le plaça contre la paroi circulaire. Il attaquait la même manœuvre avec le second quand Shampooing le saisit par l’épaule.

— T’es malade ou quoi ?

— On peut pas les laisser là.

— Mon cul. Faut s’tirer !

Le conduit se vidait de ses locataires. Des sacs flottaient à la surface de la flotte. Une pure vision de naufrage. Janusz tâta le pouls des deux crevards. Leur carotide battait faiblement. Il balança une violente gifle au premier, puis au second. Aucune réaction.

Il repartit pour une tournée.

Enfin, les zombies s’ébrouèrent.

— Putain, magne-toi ! On va crever de froid !

Janusz hésita encore une seconde puis emboîta le pas à Shampooing. Ils remontèrent les flots de merde jusqu’à l’issue du tuyau. La boue leur montait à mi-cuisse. Janusz trébucha, tomba, se releva. Ils n’étaient plus qu’à quelques mètres de la sortie. Il lança un coup d’œil aux deux clodos qui avançaient à quatre pattes, hagards, comme des castors hallucinés.

L’air libre. Ils se relevèrent. L’averse redoublait de violence. Un déluge de mousson, vertical, obstiné — sauf que l’eau était glacée. Janusz mesura la nouvelle épreuve qui les attendait : dix mètres de pente abrupte à remonter sans le moindre appui.

Ils s’attelèrent à la tâche, plongeant leurs doigts dans la falaise de boue. La pluie frappait leurs épaules. Le vent les freinait. Quand l’un tombait, l’autre le relevait, et vice versa. Progressivement, ils gagnèrent un mètre après l’autre. Enfin, Janusz parvint à saisir une tige de fer et à se hisser hors de la fosse, sans abandonner Shampooing qui battait des pieds dans le vide.

Ils jaillirent hors de la cavité comme deux caillots de boue, crachés par une blessure minérale. Le chauve n’avait lâché ni son duvet ni ses cabas. Janusz allait le féliciter quand son expression de terreur lui fit tourner la tête.

Un groupe d’hommes les attendait. Ils n’avaient rien à voir avec les clochards du conduit. Crêtes, dreadlocks, piercings, tatouages : ils portaient des blousons de toile satinée ou des parkas militaires. Plusieurs d’entre eux tenaient des chiens au collier, prêts à bondir. Et surtout, des armes blanches, bricolées, barbares, dont Janusz percevait tout le potentiel meurtrier.

Il ne fut pas étonné quand Shampooing murmura :

— Merde. Les mecs de Bougainville.

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