Il passa aux fenêtres. Des vis. Des planches. De la sciure. La chambre se transformait en cellule d’isolement. Boîte de Pandore qui ne pouvait plus s’ouvrir… Il n’avait plus de doute sur sa culpabilité. Les faits avaient maintenant la clarté des preuves directes. Ses empreintes digitales dans la fosse du Minotaure. Sa présence sur les scènes de crime d’Icare et d’Ouranos. Il s’était donné tant de mal pour refuser l’évidence… Il avait biaisé les indices, tordu les signes pour nier sa culpabilité. Maintenant, il jetait le masque. Il était le tueur. L’assassin de l’Olympe.
Deuxième fenêtre. Jamais il ne s’était senti aussi fort. L’autre profitait de son sommeil pour agir et tuer. Il allait le prendre à son propre piège. Au passage, un souvenir. Dans la mythologie grecque, Thanatos, le dieu de la Violence, de la Destruction et de la Mort, avait un frère jumeau : Hypnos, le dieu du Sommeil. Une nouvelle référence antique qui lui collait parfaitement à la peau.
Il stoppa la visseuse-perceuse et contempla le travail à la lueur de l’ampoule. La pièce n’avait plus d’issue. Il était emmuré. Totalement prisonnier.
Il balança ses outils et se tourna vers le matériel vidéo. Il brancha la caméra sur le secteur électrique, installa le trépied, attendant que l’engin fasse le plein d’énergie. Il alluma le projecteur et l’orienta vers le sol, entre les deux fenêtres, à la manière d’une poursuite de théâtre. Il posa au centre du rayon le tapis de sol et sortit la couette de sa housse plastique.
Quand son lit fut prêt, il attrapa le caméscope chargé et le fixa sur le trépied. Selon le mode d’emploi, la carte-mémoire permettait d’enregistrer près de dix heures en continu dans une qualité normale. Il commença à filmer la pièce en plan large. Au centre de l’objectif, le lit.
Il sortit de son étui l’« eye-pillow » — un de ces masques de nylon comme on en donne dans les avions. Il l’enfila sur son front et se blottit sous la couette. Il abaissa le masque sur ses yeux et se concentra sur son sommeil. Il avait coupé son téléphone. Personne ne savait qu’il se trouvait ici. Personne ne pouvait le déranger d’aucune façon. Personne ne pourrait le retenir pour le grand saut.
Bientôt, il saurait…
140
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Sur la table d’opération, Francyzska Kubiela murmure sa prière, le ventre nu. Autour d’elle, deux médecins et plusieurs infirmières, tous masqués de vert, paraissent mal à l’aise. Un troisième est en retrait, portant lui aussi un masque chirurgical. Un des gynécologues passe le gel sur le ventre de la femme puis saisit la sonde échographique.
Il s’adresse à son confrère, de l’autre côté de la table :
— Qu’est-ce qu’elle raconte ?
L’autre hausse les épaules en signe d’ignorance — il tient une seringue dotée d’une longue aiguille.
— Une prière d’exorcisme, murmure l’homme à l’arrière. Elle l’a apprise par cœur. En français.
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L’obstétricien grogne sous son voile de papier :
— Il fallait l’anesthésier complètement… C’est bon pour toi ?
Le toubib à l’aiguille acquiesce. Le premier passe la sonde. Dans l’utérus, les ondes ricochent contre les petits corps, à la manière d’un sonar. On perçoit le battement précipité des deux cœurs…
Les jumeaux apparaissent à l’écran. Francyzska en est à son septième mois de grossesse. Un des fœtus mesure plus de 40 centimètres, l’autre n’en excède pas 20. Une forêt de vaisseaux sanguins les surplombe.
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— Calmez-vous, Francyzska…, murmure le médecin. Vous n’allez rien sentir.
La Polonaise, coiffée d’une charlotte en papier verdâtre, ne paraît pas entendre. Le gynécologue relève les yeux et se concentre sur le moniteur. Les fœtus flottent dans le liquide amniotique. Le dominant s’agite légèrement. Le dominé se blottit au fond de la cavité. Avec leur grosse tête et leurs yeux transparents, ils sont comme deux sculptures de verre, différentes seulement par leur taille…
— Elle a pris ses antispasmodiques ?
— Oui, docteur, répond une infirmière.