Читаем Le passager полностью

1973. Cette fois, il se tenait entre les bras de sa mère — sans doute l’une des dernières photos avant que la femme ne soit internée. On ne voyait pas le visage de Francyzska qui baissait la tête, mais le regard fixe de l’enfant, âgé de deux ans, irradiait l’image. Au fond de ses iris, on percevait déjà la même tristesse éblouie, solaire.

Kubiela leva les yeux. La pluie avait cessé. À travers les fenêtres encore liquides, le terrain vague s’égouttait. Des filets d’eau, le long des pneus, des clapiers, des débris, s’étoilaient et décochaient des étincelles. Quelque part, invisible, le soleil lançait ses rayons. Cette vision aurait dû lui remonter le moral mais elle l’enfonçait plutôt dans sa mélancolie. Pourquoi cet air de chien battu sur les photos ? D’où venait sa détresse ? L’ombre de la folie de sa mère ?

Il restait une enveloppe de grande dimension, frappée d’un tampon d’hôpital. Peut-être l’explication. Une pathologie, une anémie quelconque dans son enfance. Il ouvrit l’enveloppe Kraft et ne réussit pas à sortir tout à fait les documents, collés par l’humidité.

Des clichés médicaux.

Il tira encore. Des échographies. Celles du ventre de sa mère, captées en mai 1971 — il pouvait voir la date dans le coin du premier tirage. On était au tout début de cet usage en obstétrique.

Il parvint, enfin, à extraire les images.

Il fut terrassé par ce qu’il voyait.

Dans le liquide amniotique, il n’y avait pas un, mais deux fœtus.

Deux embryons face à face, poings serrés. Deux jumeaux en chiens de fusil, qui s’observaient dans le silence des eaux prénatales.

Les jumeaux à naître de Francyzska et Andrzej Kubiela.

Une terreur brûlante coula en lui comme d’un robinet ouvert. Il saisit les autres échographies. Trois mois. Quatre mois puis cinq… Au fil des images, une anomalie apparaissait. Les fœtus n’évoluaient pas de la même façon. Un des deux était plus imposant que l’autre.

Aussitôt, Kubiela s’identifia au plus petit qui lui paraissait reculer avec crainte, face à son jumeau plus fort.

Une vérité éclata sous son crâne. Le dominant était son frère caché. Un enfant qui avait été écarté de la famille Kubiela pour une raison qu’il ne pouvait encore imaginer. L’idée monta, s’amplifia, se dilata dans sa tête au point de tout occulter.

Théorie.

Il avait été le jumeau dominé au fond du ventre de sa mère.

Mais il avait été choisi par ses parents pour jouer le rôle de fils unique.

L’autre avait été rejeté, oublié, renié.

Et il revenait aujourd’hui des limbes pour se venger.

Pour lui faire endosser la responsabilité des meurtres qu’il commettait.

<p>130</p>

LE MUSÉE de la photographie contemporaine de Marne-la-Vallée prenait place dans un solide bâtiment en briques du XIXe siècle, sans doute une ancienne manufacture. Un de ces lieux où des ouvriers avaient sué sang et eau et qui étaient aujourd’hui recyclés en ateliers branchés où des hommes « faisaient de l’art ». Des musées d’art contemporain, des salles de concerts, des espaces d’expression corporelle…

Anaïs méprisait ce genre d’endroits mais cette bâtisse avait de la gueule. Sur la façade, des frontons, des ornements, des châssis plus clairs donnaient à l’ensemble une noblesse artisanale. Des décorations en faïence lui conféraient même un petit air de station maritime comme celle qu’on voit sur le Bosphore à Istanbul.

Elle n’avait eu aucun mal à fausser compagnie aux sbires de Solinas. À 15 heures, après leur avoir donné des consignes concernant l’enquête sur Medina Malaoui, elle avait fait mine d’aller chercher un autre café puis avait pris l’ascenseur. Tout simplement. Elle avait un badge, les clés d’une voiture. Il lui avait suffi d’actionner la télécommande pour trouver le véhicule. L’adrénaline suppléait à son épuisement.

Elle n’avait pas d’illusions sur le boulot mené par les cerbères. Pas grave. Dans sa petite tête obstinée, elle misait tout sur sa piste des daguerréotypes.

À l’intérieur, une grande pièce d’un seul tenant de plus de 300 mètres carrés, au plancher de bois et aux piliers vernis, sentait bon la sciure, la colle et la peinture fraîche. Une exposition se mettait en place. C’était précisément cette exposition qui l’intéressait : celle d’un artiste-photographe, Marc Simonis, qui occupait le poste de président de la fondation de Daguerréotypie. L’ouverture était pour le lendemain. Elle espérait tomber sur l’artiste en plein accrochage de ses œuvres.

Quand elle aperçut un gros homme engueulant des ouvriers indifférents, à genoux dans la sciure ou debout sur des escabeaux, elle sut qu’elle avait trouvé sa cible. Elle marcha vers lui à pas lents afin de lui laisser le temps d’achever sa tirade. Du coin de l’œil, elle repéra les cadres déjà fixés. Elle s’arrêta pour mieux les voir. Les daguerréotypes avaient une particularité qu’elle n’avait pu capter dans les livres de reproductions : c’étaient des miroirs. Des surfaces polies, argentées ou dorées, réfléchissantes. Cette singularité devait plaire au tueur. En admirant son œuvre — son crime —, il se contemplait lui-même.

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