Vestibule. Cuisine. Salon. Pas un meuble, pas une lampe, pas un rideau. Des murs beiges ou marron, tendance putride. Un parquet crevassé, dont on apercevait les solives. À chaque pas, il écrasait quelque chose sous ses pieds. Des cafards larges comme des dattes. Il était certain qu’il arpentait là le théâtre de son enfance. Il imaginait sa rage de se sortir de ce bourbier, à coups de diplômes et de connaissances.
Une victoire sociale et matérielle, mais pas seulement. En suivant ses études de psychiatrie, il avait voulu changer la
Un escalier. Le bois n’était plus qu’une boue de moisissure. À chaque marche, un jus verdâtre en jaillissait alors que d’autres insectes, dans la pénombre, se carapataient. Il s’accrocha à la rampe, s’attendant à ce qu’elle s’effrite sous sa main. Mais non. L’idée absurde lui vint que la maison l’acceptait — elle
Couloir. Une première chambre, volets fermés. Noire. Vide. Il passa à la suivante. Même tableau. Une autre encore. Idem. Enfin, il tomba sur une porte fermée à clé. On avait même installé un verrou tout neuf. Cette attention lui donna un vague espoir. D’un coup d’épaule, il essaya de l’enfoncer, s’attendant à ce qu’elle lui tombe sur le crâne. L’assaut s’avéra plus difficile. Il dut même redescendre chercher sa barre de fer. Finalement, au bout de dix minutes de travail des gonds et du bois, il parvint à pénétrer dans l’espace protégé.
Encore une pièce vide. Seuls, deux cartons couverts par des sacs-poubelle occupaient un angle. Il avança dans la pénombre. Il souleva l’un des plastiques avec prudence, s’attendant à voir jaillir des rats ou des vers. Il découvrit des cahiers Clairefontaine d’apparence récente, couvertures bleues plastifiées. Il en feuilleta un et sentit son cœur bondir dans sa gorge. C’étaient les notes personnelles de François Kubiela sur les cas de fugues psychiques.
Il n’aurait pu tomber sur trésor plus précieux.
Il arracha le sac-poubelle du deuxième carton. Des enveloppes, des photographies, des papiers administratifs… Toute la vie des Kubiela en chiffres, attestations, clichés et formulaires… Celui qui avait entreposé tous ces documents avait pris soin de les protéger de l’humidité — l’intérieur des cartons était doublé par un autre sac-poubelle.
Qui avait placé ces archives ici ? Lui-même. Au fil de son investigation, il avait senti le danger et installé son QG dans le pavillon de ses parents, remisant dans cette chambre les pièces à conviction de son enquête et de son propre passé.
Il ouvrit la fenêtre et poussa les volets. Des bourrasques de pluie s’engouffrèrent avant qu’il ne referme le châssis. Il se tourna vers l’espace. Une cheminée close par une plaque d’acier occupait le mur de droite. Le papier des murs portait les traces des meubles de jadis. Un lit. Une armoire. Une commode. Des rectangles aussi qui devaient correspondre à des posters. Kubiela devina qu’il s’agissait de sa chambre. Celle qu’il avait occupée quand il était môme, puis adolescent. Il se tourna vers les cartons. L’étude de tous ces documents allait lui prendre des heures.
Il se frotta les mains, comme devant un bon feu, et se mit à genoux face à son butin. Un sourire animait ses lèvres.
Il y avait une logique amère dans son destin.
Son enquête avait commencé avec des cartons vides — ceux de Bordeaux.
Elle s’achevait avec des cartons pleins — ceux de Pantin.
128
LA TÊTE DE SOLINAS valait le détour. Le commandant savait qu’Anaïs sortait de Fleury ce matin mais il ne s’attendait pas à ce qu’elle déboule directement dans son bureau. Il supposait sans doute qu’elle profiterait de sa libération pour reprendre son enquête en solitaire.
— Remets-toi, Solinas. Ce n’est que moi.
L’homme releva ses lunettes sur son front :
— Je suis assez surpris.
— On a un deal, non ?
Il balaya l’air d’un geste vague :
— Les deals, de nos jours…
Elle empoigna une chaise et s’assit face à son bureau. L’atmosphère était toujours impeccable et un rien glacée. Elle planta ses coudes sur le plateau et attaqua :
— Je suis sous contrôle judiciaire. Lundi, je vois le juge qui va peut-être me refoutre en taule. S’il ne le fait pas, je serai réexpédiée à Bordeaux, grâce à la bienveillance de mon père. Ce qui fait que je dispose d’aujourd’hui et du week-end pour avancer sur l’enquête.
Solinas sourit. Il commençait à comprendre.
— Ce que j’appelle « avoir la paille au fion ».
— Et je dois faire fissa si je ne veux pas qu’on me l’enfonce jusqu’à la garde.
Le sourire s’élargit.
— Où en es-tu ? enchaîna-t-elle.
Solinas esquissa une moue d’indécision. Il avait repris son manège avec son alliance :