Читаем Le passager полностью

Le cow-boy ne bougeait pas. Il portait une veste de toile, de même couleur que son pantalon, alloués par le CHS. Mi-pyjama, mi-costume de détenu. Freire secoua la tête. Il était opposé à l’idée d’un uniforme pour les patients.

— Bien, fit Mischell.

— Tu te souviens de notre conversation ?

— Vaguement. J’ai dit des trucs importants ?

Le psychiatre répondit avec prudence, utilisant les formules d’usage mais ne répétant pas à voix haute les renseignements. Il devait d’abord les vérifier, l’un après l’autre. Il s’assit derrière son bureau et regarda Mischell droit dans les yeux. Après quelques paroles d’apaisement, il l’interrogea sur son sommeil.

— J’ai encore fait le même rêve.

— Le soleil ?

— Le soleil, oui. Et l’ombre.

De quoi avait-il rêvé, lui ? Après l’épisode des hommes en noir, il était tombé dans l’inconscience comme une pierre dans un gouffre. Il avait dormi tout habillé sur le canapé du salon. Il devenait le clochard de sa propre existence.

Il se leva et fit le tour du géant, toujours assis :

— Tu as essayé de te souvenir de… ta nuit dans la gare ?

— Bien sûr. Rien me revient.

Freire marchait maintenant dans son dos. Il avait conscience que ses pas avaient quelque chose de menaçant, d’oppressant — un flic interrogeant son prisonnier. Il se rapprocha, sur sa droite :

— Pas même un détail ?

— Rien.

— La clé ? L’annuaire ?

Mischell cilla plusieurs fois. Des tics nerveux apparurent sur son visage.

— Rien. Je sais rien.

Le psychiatre revint derrière son bureau. Il sentait cette fois une résistance chez l’homme. Il avait peur. Peur de se souvenir. Freire lui adressa un sourire amical. Un vrai signe de conclusion, et d’apaisement. Il ne prenait pas assez de précautions avec ce patient. Sa mémoire était comme une feuille de papier froissée, qui pouvait se déchirer à mesure qu’on la dépliait.

— On va s’arrêter là pour aujourd’hui.

— Non. Je veux te parler de mon père.

La machine de la mémoire était enclenchée. Avec ou sans hypnose. Freire reprit son bloc.

— Je t’écoute.

— Il est mort. Y a deux ans. Un maçon. Comme moi. J’t’ai dit que je faisais ce métier ?

— Oui.

— Je l’aimais beaucoup.

— Où vivait-il ?

— Marsac. Un village dans le bassin d’Arcachon.

— Et ta mère ?

Il ne répondit pas tout de suite et tourna la tête. Ses yeux semblaient chercher la réponse au fond de la lumière glacée de la fenêtre.

— Elle tenait un bar-tabac, fit-il enfin, dans la rue principale de Marsac. Elle est morte elle aussi, l’année dernière. Juste après mon père.

— Tu te souviens dans quelles circonstances ?

— Non.

— Tu as des frères et sœurs ?

— Je… (Mischell hésita.) Je sais plus.

Freire se leva. Il était temps cette fois de clore le rendez-vous. Il appela un infirmier et prescrivit un sédatif à Mischell. Du repos avant tout.

Une fois seul, il regarda sa montre. Près de 10 heures. Sa permanence aux urgences recommençait à 13 heures. Il avait le temps de retourner chez lui mais à quoi bon ? Il préférait effectuer une visite de son unité. Ensuite, il reviendrait ici et vérifierait les nouvelles données sur Pascal Mischell.

En sortant dans le couloir, une vérité souterraine lui apparut.

Il cherchait à vivre ici, au CHS. En sécurité. Comme ses patients.

<p>10</p>

— J’AI FAIT ce que j’ai pu pour lui bricoler une tête potable.

— Je vois ça.

10 heures du matin. Anaïs Chatelet n’avait dormi que deux heures, sur le canapé de son bureau. Son téléphone coincé dans le creux de l’épaule, elle contemplait sur son écran les restes du visage de la victime de la gare Saint-Jean. Nez broyé. Arcades fracassées. Œil droit enfoncé, désaxé de quelques centimètres par rapport au gauche. Les lèvres tuméfiées laissaient entrevoir les dents brisées. Un masque couturé, rafistolé, asymétrique.

Longo, le légiste, venait de lui envoyer la photographie — en vue d’une identification — et l’avait appelée dans la foulée.

— A priori, toutes les fractures du visage ont été provoquées par la tête de taureau. Le tueur a creusé l’intérieur du cou de l’animal. Il l’a évidée jusqu’au cerveau puis il a enfoncé ce truc immonde sur le crâne de l’homme, comme une cagoule. Les vertèbres de la bête et ce qui restait de muscles et de tissus ont écrabouillé le visage du gamin.

Le gamin. C’était le mot. Il devait avoir une vingtaine d’années. Des cheveux teints, tendance corbeau, coupés à la diable. Sans doute un Gothique. On avait soumis ses empreintes digitales au fichier national : aucun résultat. Le type n’avait jamais fait de taule, ni même de garde à vue. Quant au FNAEG, le Fichier national automatisé des Empreintes génétiques, la vérification prenait plus de temps.

— C’est ça qui l’a tué ?

— Non. Il était déjà mort.

— De quoi ?

— Mon feeling était le bon. Overdose. J’ai reçu ce matin, première heure, les analyses toxico. Le sang de notre client contenait près de deux grammes d’héroïne.

— T’es certain qu’il est mort de ça ?

— Personne ne peut encaisser une telle dose. Je te parle d’une héroïne presque pure. Et il n’y a pas trace d’autre blessure.

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