Anaïs ne comprit pas ces mots — elle venait de lui annoncer son arrêt de mort. Avec un temps de retard, elle saisit qu’il parlait des murs de la maison d’arrêt, des conséquences de toute l’affaire sur sa carrière, du chaos dans lequel elle s’était volontairement jetée.
— J’ai choisi mon camp, murmura-t-elle.
— Alors, prouve-le.
Freire lui prit la main et glissa entre ses doigts un papier plié.
— C’est quoi ?
— L’heure et la date d’un appel que Chaplain a reçu sur sa ligne fixe, à la fin du mois d’août. Un appel au secours. Il faut que j’identifie la fille qui m’a contacté.
Anaïs se cabra.
— L’appel est protégé, continua-t-il. C’est le dernier coup de fil que j’ai reçu dans la peau de Chaplain. Le lendemain, je suis devenu un autre. Je dois retrouver cette femme !
Anaïs baissa les yeux sur son poing serré. Son cœur avait des ratés. La déception la suffoquait.
— Je t’ai écrit un autre numéro, continua-t-il à voix basse. Mon nouveau portable. Je peux compter sur toi ?
Elle fourra discrètement le papier dans sa poche de pantalon et éluda la question :
— Chaplain, il cherchait aussi le tueur ?
— Oui, mais d’une autre façon. Il utilisait des sites de rencontres. Notamment un club de speed-dating, Sasha.com. Ça te dit quelque chose ?
— Non.
— Le numéro, Anaïs. Il faut l’identifier. Je dois parler à cette femme. S’il n’est pas trop tard.
Anaïs fixa ses yeux rougis. Un bref instant, elle souhaita la mort de cette rivale. Aussitôt après, elle arracha ce cancer de son ventre.
Elle parvint à demander :
— C’est pour ça que t’es venu ?
La sonnerie retentit. Fin des visites. Il eut un sourire épuisé et se leva. Malgré ses kilos en moins, ses années en plus, ses yeux brillants de fièvre et son nez en miettes, il avait toujours un charme irrésistible.
— Ne dis pas de conneries.
111
AUSSITÔT sortie du parloir, Anaïs demanda l’autorisation de téléphoner. Cela signifiait simplement effectuer un détour par l’aile nord du tripale, où les postes s’alignaient, vissés dans le mur. La surveillante fut conciliante. Elle n’était pas encore une vraie DPS.
L’heure de la promenade avait commencé. Résultat, pas une gazelle devant les appareils téléphoniques. Anaïs composa de mémoire un numéro. Il fallait qu’elle s’agite pour ne pas sombrer dans l’abattement. Elle aurait tout le temps de pleurer dans sa cellule. Elle avait revu Mathias Freire et que s’était-il passé ? Du boulot de flic. Un échange professionnel. Et basta.
— Allô ?
— Le Coz, Chatelet.
— Anaïs ? Mais qu’est-ce qui se passe ?
La nouvelle de la fusillade et de son arrestation était parvenue jusqu’au Sud-Ouest.
— Trop long à t’expliquer.
— Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Elle balança un regard vers la matonne qui faisait les cent pas, de dos, face à une baie grillagée. Anaïs sortit sa feuille de papier et le déplia.
— Je te donne l’heure et la date d’un appel protégé, ainsi que le numéro contacté. Tu identifies l’abonné qui a passé le coup de fil. Tout de suite.
— T’as pas changé, dit-il en riant. Balance.
Elle dicta le numéro, le jour, l’heure. Elle l’entendit décrocher une autre ligne. Il livra en relais les informations dans l’autre combiné puis revint vers elle.
— J’ai reçu un appel d’Abdellatif Dimoun.
Elle mit quelques secondes à replacer le nom. Le coordinateur de la police scientifique de Toulouse. Le guerrier du désert.
— Qu’est-ce qu’il voulait ?
— Tu lui as fait envoyer un tas de merdes, paraît-il, venues d’une plage de Marseille.
Elle avait carrément oublié cette piste. Les débris retrouvés autour du corps d’Icare.
— Il les a analysés ?
— Oui. Juste des détritus charriés par le ressac. Il n’y a qu’un truc qui tranche sur le lot. Un fragment de miroir. Selon lui, ça pourrait provenir d’ailleurs. Peut-être même de la poche du tueur.
— Pourquoi ?
— Parce que le fragment ne porte aucune trace de sel. Il ne vient pas de la mer.
Un morceau de miroir : on était bien avancés.
— C’est pas tout, continua Le Coz. Ils l’ont analysé : il porte des traces d’iodure d’argent.
— Qu’est-ce que ça signifie ?
— On a traité ce miroir. On l’a volontairement plongé dans ce produit pour le rendre sensible à la lumière. C’est une méthode très ancienne, paraît-il, qui date de 150 ans. La technique du daguerréotype.
— Du quoi ?
— L’ancêtre de la photographie. Je me suis documenté. Le miroir poli et argenté conserve l’empreinte projetée par un objectif. Après, on l’expose à des vapeurs d’iode et on obtient une image. Quand l’argentique est apparu, on a abandonné cette technique, non reproductible. Le daguerréotype imprime directement un positif, sans passer par un négatif.
— Dimoun pense que ce miroir est un support de daguerréotype ?
— Oui. Et ça nous fait un sacré indice. Plus personne ne pratique cette méthode à part quelques passionnés.
— Tu t’es rancardé ?
— J’y vais de ce pas.
— Trouve-moi la fondation qui réunit ces mecs. La liste des types qui utilisent encore cette technique.