Читаем Le monde inverti полностью

L’orage gronda toute la nuit et aucun d’entre nous ne put beaucoup dormir. Notre camp était à un kilomètre du pont et le fracas des vagues nous parvenait comme un rugissement étouffé, presque éteint par le vent hurlant. En imagination, nous entendions les poutres éclater pendant les courtes accalmies.

Le vent tomba vers l’aube, et il devint possible de dormir. Mais pas longtemps car peu après le lever du soleil, la cuisine était en train et on nous servit à déjeuner. Pendant le repas, personne ne parla. Il ne pouvait y avoir qu’un unique sujet de conversation et personne ne désirait l’aborder.

Nous partîmes vers le pont. Nous n’avions parcouru qu’une cinquantaine de mètres quand l’un de nous montra du doigt un morceau de poutre rejeté sur la côte. Sombre présage et, comme nous devions le constater, présage juste. Il ne restait rien du pont, sinon les quatre piles principales, plantées en sol résistant en bordure de l’eau.

Je jetai un coup d’œil à Lerouex, chef des travaux pour cette équipe.

— Il nous faut encore du bois, dit-il. Échanges Norris, prenez trente hommes et commencez à abattre des arbres. J’attendis la réaction de Norris. De tous les hommes de guilde sur les lieux il avait le plus rechigné au travail et s’était longuement et vivement plaint durant les premiers jours. Maintenant, il ne se rebellait plus… nous avions tous passé ce stade. Il fit simplement un signe d’acquiescement, rassembla un groupe et repartit vers le camp pour prendre les outils de bûcheron.

— Alors on recommence, dis-je à Lerouex.

— Naturellement.

— Celui-ci sera-t-il assez solide ?

— Oui, si nous le construisons bien.

Il se détourna pour donner des ordres en vue de dégager l’emplacement. À l’arrière-plan, les vagues encore énormes après la tempête venaient se briser contre la côte.

On travailla tout le jour et au soir, l’emplacement était net. Norris et ses hommes avaient apporté quatorze troncs d’arbres. Le lendemain, nous pourrions recommencer à bâtir.

Dans la soirée, j’allai trouver Lerouex. Il était assis sous la tente, paraissant examiner ses plans pour le pont, mais en réalité son regard était vide.

Il ne parut pas satisfait de me voir, mais nous étions les deux « anciens » sur le chantier et il savait que je ne venais pas sans raison sérieuse. Nous avions maintenant le même âge – en gros – car la nature de mon travail dans le nord m’avait fait passer de nombreuses années de temps subjectif. Il existait entre nous une gêne du fait qu’il était le père de mon ex-épouse et que nous étions devenus des contemporains. Nous n’avions ni l’un ni l’autre jamais fait allusion à l’affaire. Victoria elle-même n’avait guère que quelques kilomètres de plus que lors de notre mariage et le fossé entre nous était à présent si large que même nos souvenirs communs s’étaient perdus à jamais.

— Je sais ce que vous venez me dire, déclara-t-il. Que nous ne réussirons jamais à construire ce pont.

— Ce sera pour le moins difficile.

— Non. Impossible. C’est ça que vous voulez dire.

— Qu’en pensez-vous ?

— Je suis censé construire des ponts, Helward, et non penser.

— Boniment ! Et vous le savez !

— Bon. Mais quand il faut un pont, je le bâtis. Je ne pose pas de questions.

— Jusqu’à présent, vous aviez toujours une rive opposée.

— Cela ne change rien. Nous pouvons établir un pont flottant.

— Et quand nous serons au milieu du fleuve, où prendrons-nous le bois ? (Je m’assis en face de lui sans qu’il m’y eût invité.) D’ailleurs, vous avez fait erreur. Je ne suis pas venu vous voir à ce sujet.

— Alors ?

— La rive opposée… où est-elle ?

— Quelque part par là.

— Où ?

— Je l’ignore.

— Comment pouvez-vous savoir qu’il y en a une ?

— Il le faut.

— Alors, pourquoi ne la voyons-nous pas ? Nous nous éloignons de la rive à quelques degrés de la perpendiculaire, mais même ainsi, nous devrions la voir. La déviation…

— Est concave. Je sais. Croyez-vous que je n’y aie pas réfléchi ? En théorie nous sommes capables de voir jusqu’à l’infini. Mais la vapeur atmosphérique ? Même par une claire journée, quarante à cinquante kilomètres sont un maximum pour voir avec précision.

— Vous allez construire un pont de quarante kilomètres de long ?

— Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je crois que tout ira bien. Pourquoi m’obstinerais-je, autrement ?

Je secouai la tête :

— Je ne vois pas.

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