— Quels autres ?
— Les gens qui vivent par ici.
— Est-ce à mon désavantage ?
— Non.
Il étudiait la berge comme s’il avait cherché autre chose à dire, une excuse pour rester près d’elle. Brusquement, il parut changer d’avis. Il attacha son cheval à l’arbre le plus proche :
— Puis-je vous demander une chose ?
— Bien sûr.
— Je me demande… me permettriez-vous de vous dessiner ?
— Me dessiner ?
— Oui… un simple croquis. Je ne suis pas très habile… il n’y a pas très longtemps que je m’y intéresse. Quand je suis par ici, je consacre beaucoup de temps à dessiner ce que je vois.
— Était-ce ce que vous faisiez avant que j’arrive ? Je vous ai vu avec des papiers.
— Ce n’était qu’une carte géographique.
— Bon. Vous désirez que je pose pour vous ?
Il fouilla dans une fonte et en tira une liasse de papiers de dimensions différentes. Il les feuilleta nerveusement et elle vit que c’étaient des dessins au trait.
— Restez debout là, dit-il. Non… près de votre cheval.
Il s’assit au bord de la rive, les papiers en équilibre sur ses genoux. Elle l’examinait, un peu déconcertée par la tournure des événements, et elle éprouvait une timidité croissante qui n’était généralement pas dans sa nature. Il la regardait fixement par-dessus son papier.
Elle se tenait debout près du cheval, un bras passé sous l’encolure pour le caresser et l’animal réagissait en pressant ses naseaux contre elle.
— Vous n’êtes pas bien placée, dit-il. Tournez-vous un peu plus vers moi.
Sa timidité augmentait et elle se rendait compte que sa pose était raide, sans naturel.
Il travaillait, utilisant une feuille après l’autre, et elle se décontracta peu à peu. Elle décida de ne pas faire attention à lui et se remit à caresser la bête. Après un moment, il lui demanda d’enfourcher sa monture, mais elle commençait à se fatiguer.
— Puis-je voir ce que vous avez fait ?
— Je ne montre jamais mes dessins, à personne.
— Je vous en prie, Helward. C’est la première fois que je pose.
Il examina les papiers et en choisit quelques-uns :
— Je ne sais pas ce que vous allez en penser.
Elle les lui prit des mains.
— Seigneur ! Est-ce que je suis aussi maigre ? s’écria-t-elle sans réfléchir.
Il tenta de lui reprendre les esquisses :
— Rendez-les-moi.
Elle se détourna pour regarder les autres. On voyait que c’était elle, mais il avait un sens des proportions pour le moins… inhabituel. Elle et le cheval étaient trop grands et trop minces. L’effet n’était pas déplaisant, mais insolite.
— Je vous en prie, j’aimerais les reprendre.
Elle les lui rendit et il les plaça sous tous les autres papiers. Il lui tourna brusquement le dos et se dirigea vers son cheval.
— Vous aurais-je offensé ? demanda-t-elle.
— C’est bon ! Je savais bien que je n’aurais pas dû vous les montrer.
— Je les trouve excellents. C’est simplement… un peu surprenant de se voir par les yeux d’un autre. Je vous ai déjà dit que je n’avais jamais posé auparavant.
— Vous êtes difficile à dessiner.
— Pourrais-je en voir d’autres ?
— Cela ne vous intéresserait pas.
— Ecoutez, ce n’est pas pour vous passer de la pommade ! Cela m’intéresse vraiment.
— D’accord.
Il lui remit toute la liasse et repartit vers son cheval. Elle se rassit pour examiner les dessins, consciente qu’il était à l’arrière-plan, feignant d’ajuster le harnais, mais en réalité l’observant à la dérobée pour deviner ses appréciations.
Il avait dessiné une quantité de sujets. Plusieurs fois sa monture, paissant, debout, renversant la tête. Les lignes étaient d’un naturel surprenant… en quelques traits il attrapait l’essentiel même de l’animal, fier mais docile, domestiqué mais toujours son propre maître. Et curieusement, les proportions étaient tout à fait justes. Il y avait plusieurs portraits d’homme… le sien ou celui de l’homme qu’elle avait vu avec lui ? Avec sa cape, sans cape, debout près d’un cheval, maniant la caméra… Cette fois encore les proportions étaient exactes.
Quelques esquisses de paysages… des arbres, une rivière, une structure bizarre traînée par des cordages, une lointaine chaîne de collines. Il n’était pas très fort dans ce domaine. Parfois les proportions étaient satisfaisantes, d’autres fois on remarquait des déformations difficiles à définir. Quelque chose de raté dans la perspective ? Impossible à dire.
Tout au-dessous de la liasse elle retrouva les croquis qu’il avait pris d’elle. Ses premiers essais n’étaient visiblement pas bons. Trois de ceux qu’il lui avait montrés précédemment étaient nettement meilleurs, mais présentaient toujours cette élongation de sa silhouette et de celle de son cheval qui l’intriguait.
— Alors ? demanda-t-il.
— Je… (Elle cherchait les mots justes.) Je les trouve bons… certains insolites. Vous avez bon œil.
— Vous êtes un sujet difficile.
— J’aime plus particulièrement celui-ci. (Elle fouilla dans les papiers et prit l’image du cheval à la crinière au vent.) C’est vivant.
Il sourit alors :
— C’est mon préféré, à moi aussi.