Il y avait six guildes du premier ordre. Outre la guilde de Clausewitz, celle des Topographes du Futur, il y avait une guilde chargée de la Traction, une autre pour la Pose des Voies et une autre pour la Construction des Ponts. On m’informa que ces guildes étaient avant tout responsables de la survie de la cité. Deux autres guildes leur prêtaient assistance : la Milice et les Échanges. Tout cela était nouveau pour moi, mais je me rappelais à présent que mon père avait parfois fait allusion à des hommes qui portaient comme titre le nom de leur guilde. J’avais entendu parler par exemple des Bâtisseurs de Ponts, mais jusqu’à cette cérémonie je n’avais pas eu la moindre idée que la construction d’un pont fût un événement auréolé de rites et de mystères. En quoi un pont était-il indispensable à la survie de la cité ? Pourquoi une milice était-elle nécessaire ?
Et en fait, qu’était donc le Futur ?
Clausewitz m’emmena faire la connaissance des membres de la guilde du Futur, parmi lesquels figurait naturellement mon père. Trois seulement étaient présents ; les autres, me dit-on, étaient loin de la ville. Une fois les présentations terminées, je m’entretins avec les membres des autres guildes, car il y avait au moins un représentant de toutes celles du premier ordre. J’acquérais peu à peu l’impression que le travail des membres hors la cité absorbait beaucoup de temps et de ressources : de temps à autre, l’un des membres s’excusait d’être seul représentant de sa guilde. Les autres étaient loin de la ville.
Au cours de ces conversations, un fait insolite me frappa. Je l’avais déjà remarqué auparavant, mais sans y prêter attention. Mon père et les quelques membres de la guilde du Futur paraissaient beaucoup plus âgés que les autres. Clausewitz lui-même était bâti en force et magnifique sous sa cape, mais ses cheveux clairsemés et les rides de son visage trahissaient un âge avancé… que j’évaluai à environ quatre mille kilomètres. Mon père aussi, maintenant que je le voyais en compagnie d’hommes de sa génération, me paraissait remarquablement vieux. Son âge était voisin de celui de Clausewitz et pourtant la logique l’infirmait. Cela signifiait que mon père aurait eu environ deux mille neuf cents kilomètres à ma naissance et je savais déjà qu’il était de tradition dans la ville de procréer aussi vite que possible après la majorité.
Les autres membres des guildes étaient beaucoup plus jeunes. Certains n’avaient de toute évidence que quelques kilomètres de plus que moi – c’était là un fait encourageant. Maintenant que j’avais pénétré dans le monde des adultes, je souhaitais en terminer avec mon apprentissage dans le plus bref délai. Or, il devenait clair que la période d’apprentissage n’avait pas de durée fixée. Et si, comme me l’avait affirmé Bruch, la position que l’on occupait dans la ville était fondée sur les capacités, alors, avec de l’application, je pourrais devenir membre de plein droit de la guilde en un temps relativement court.
Une personne manquait, dont j’aurais apprécié la présence. C’était Jase.
Je m’informai de lui auprès d’un des membres de la Traction.
— Gelman Jase ? répéta-t-il. Je crois qu’il s’est absenté de la ville.
— N’aurait-il pas pu revenir pour l’occasion ? fis-je. Nous partagions une chambre, à la crèche.
— Jase restera absent pendant bien des kilomètres à venir.
— Où est-il ?
L’homme se contenta de sourire de ma question, ce qui me mit en colère… sûrement, maintenant que j’avais prêté serment, il pouvait me répondre.
Plus tard, j’observai qu’il n’y avait pas d’apprentis parmi l’assistance. Étaient-ils tous hors de la ville ? Dans ce cas, cela voulait dire que je pourrais sortir moi-même très bientôt.
Après quelques minutes de bavardage, Clausewitz réclama notre attention.
— Je propose de rappeler les administrateurs, dit-il. Y a-t-il des objections ?
L’assemblée dans son ensemble émit un murmure d’approbation.
— En ce cas, reprit Clausewitz, je tiens à rappeler à notre apprenti que c’est la première occasion en laquelle il est lié par son serment et qu’il en rencontrera beaucoup d’autres.