Un long silence s’établit. Par deux fois encore, Clausewitz s’enquit des objections possibles, mais personne n’en souleva contre moi.
— Il en est comme il doit être, dit Clausewitz. Helward Mann, je vous offre à présent de prêter le serment d’une guilde du premier ordre. Vous pouvez encore – même à ce stade avancé – refuser de le prononcer. Si toutefois vous prêtez le serment, il vous liera pour le reste de votre vie dans la ville. Toute rupture du serment est punie de mort. Est-ce parfaitement clair dans votre esprit ?
J’étais stupéfait. Rien de ce que l’on m’avait raconté – mon père, Jase ou même Bruch – ne m’avait averti de ce point. Peut-être Bruch n’était-il pas au courant… mais mon père m’aurait certainement informé.
— Eh bien ?
— Dois-je prendre ma décision dès maintenant, monsieur ?
— Oui.
Il était parfaitement évident que je n’aurais pas connaissance du serment avant de m’être décidé. La teneur en était sans nul doute absolument secrète en soi. Je sentais que je n’avais guère le choix. Je m’étais beaucoup trop avancé et déjà je sentais sur moi s’exercer les pressions du système. Aller jusque-là – parrainage et acceptation – puis refuser de prêter serment, c’était impossible, du moins me le semblait-il à ce moment.
— Je prêterai serment, monsieur.
Clausewitz descendit de l’estrade, vint vers moi et me tendit un carré de carton blanc.
— Lisez ceci à haute et intelligible voix, me dit-il. Vous pouvez tout d’abord le parcourir pour vous-même, si vous préférez, mais dans ce cas, vous serez instantanément lié par la connaissance de ce texte.
J’inclinai la tête pour montrer que je comprenais, puis il regagna l’estrade. Le Navigateur se leva. Je lus en silence le serment, me pénétrant du sens des phrases.
Je me retournai vers l’estrade, conscient de l’attention que me portait l’assistance et en particulier mon père.
« Moi, Helward Mann, adulte responsable et citoyen de la Terre, je jure solennellement :
» qu’en ma qualité d’apprenti de la guilde des Topographes du Futur, je m’acquitterai de toutes tâches qui me seront confiées, et en toute diligence ;
» que je placerai la sécurité de la Cité Terrestre au-dessus de tout autre souci ;
» que je ne discuterai des affaires de ma guilde ou des autres guildes du premier ordre avec nulle personne qui ne soit elle-même accréditée, comme apprenti assermenté ou membre d’une guilde du premier ordre ;
» que tout ce que je pourrai voir ou connaître du monde hors la cité de la Terre sera considéré par moi comme affaire de sécurité de la guilde ;
» qu’étant accepté comme membre de plein droit de la guilde, je m’instruirai de la teneur du document appelé Directive de Destaine, que je m’imposerai comme un devoir de me conformer à ses instructions, et qu’en outre je transmettrai les connaissances ainsi acquises aux générations futures de membres de la guilde ;
» que la passation du présent serment sera considérée comme affaire de sécurité de la guilde.
» Tout ceci dûment juré en toute conscience que la transgression d’une seule de ces clauses me conduira à une mort immédiate aux mains de mes camarades de la guilde. »
Je levai les yeux vers Clausewitz en finissant de parler. Le seul fait de lire ces phrases m’emplissait d’une impatience que j’avais du mal à contenir.
— Venez sur l’estrade, Apprenti Mann, me dit Clausewitz.
Je m’avançai puis escaladai les quatre marches qui y menaient. Clausewitz m’accueillit en me serrant la main. Il me reprit la carte du serment. On me présenta d’abord au Navigateur qui prononça quelques paroles aimables, puis aux autres chefs de guilde. Clausewitz ne me donna pas seulement leurs noms, mais aussi leurs titres, dont certains m’étaient encore absolument inconnus. Je commençais à me sentir écrasé sous le poids de tous ces renseignements. En quelques instants, j’en apprenais davantage que je n’en avais assimilé durant toute ma vie à la crèche.