Il fouilla dans son sac et lui remit une gourde. Elle but, s’humecta les mains et s’aspergea le visage et le cou. Rosario et Caterina firent de même. La vue et le bruit de l’eau, c’en fut trop pour Helward, dont la vessie protesta de nouveau. Il promena les yeux alentour. Pas d’endroit protégé. Alors il s’écarta de quelques mètres et se soulagea sur le sol. Il entendit des gloussements derrière lui.
Quand il revint, Caterina lui tendit la gourde. Il la porta à ses lèvres. Caterina la poussa soudain par-dessous et l’eau se répandit sur son nez et ses yeux. Les femmes s’esclaffèrent tandis qu’il crachotait et s’étouffait. Le bébé se remit à pleurer.
5
Ils dépassèrent encore deux emplacements de supports avant que Helward décide de camper pour la nuit. Il choisit un endroit proche d’un bouquet d’arbres, à deux ou trois cents mètres des traces laissées par les voies. Un petit ruisseau coulait à proximité et après en avoir éprouvé la pureté – il n’avait d’autre guide que son palais – il déclara l’eau potable, afin de conserver la réserve des gourdes.
La tente était relativement facile à dresser et, bien qu’il eût commencé seul le travail, les filles l’aidèrent à terminer. Dès que la tente fut prête, il y étendit les sacs de couchage et Rosario s’y retira pour nourrir le bébé.
Une fois l’enfant endormi de nouveau, Lucia aida Helward à reconstituer les aliments synthétiques. Cette fois, ce fut une soupe de couleur orangée, qui n’avait pas meilleur goût que la précédente. Le soleil se coucha pendant qu’ils mangeaient. Helward avait allumé un petit feu, mais un vent glacial souffla bientôt de l’est. Pour finir, ils durent se réfugier dans le confort et la chaleur des sacs de couchage sous la tente.
Helward tenta de nouer conversation avec les filles, mais elles ne répondaient pas, ou bien échangeaient des remarques moqueuses en espagnol. Il laissa tomber. L’équipement comprenait quelques bougies. Il en alluma plusieurs et resta allongé une heure ou deux, à leur clarté, en se demandant quel avantage la cité pouvait bien retirer de cette inutile expédition qu’on lui imposait.
Il finit par s’endormir, mais fut réveillé à deux reprises par les cris du bébé. Une fois, il distingua la silhouette de Rosario, découpée sur la faible clarté nocturne, assise sur son sac de couchage et donnant le sein à l’enfant.
Ils s’éveillèrent de bonne heure et partirent rapidement. Helward ne savait trop ce qui se passait, mais l’humeur des trois femmes était très différente ce jour-là. Pendant la marche, Caterina et Lucia chantèrent un peu et, à la première halte, elles s’efforcèrent de nouveau de répandre de l’eau sur lui. Il recula pour les éviter, mais ce faisant il trébucha sur le sol inégal… et une fois de plus crachota et s’étouffa pour leur plus grand amusement. Seule Rosario le tenait à l’écart, ne lui prêtant ostensiblement aucune attention, alors que Lucia et Caterina lui faisaient des grâces. Il n’aimait guère ces taquineries – car il ne voyait aucun moyen de leur répondre – mais il préférait cela à l’atmosphère déplaisante de la veille.
Tandis que la matinée s’écoulait et que la température montait, leur humeur devenait plus décontractée. Aucune des trois ne portait de jaquette et, à la halte suivante, Lucia déboutonna le haut de son chemisier. Caterina ouvrit complètement le sien et en noua simplement les pans par-devant, sur sa peau nue.
Maintenant, Helward ne pouvait plus se méprendre quant à l’effet qu’elles avaient sur lui. Avec la familiarité croissante, l’atmosphère se décontractait. Même Rosario ne lui tourna pas le dos quand elle donna le sein à son bébé.
Une petite zone boisée les mit quelque temps à l’abri de la chaleur. Helward se rappelait avoir aidé à dégager le terrain en ce lieu pour les poseurs de voies, quelques kilomètres auparavant. Ils s’assirent à l’ombre, attendant que la plus forte chaleur fût passée.
Ils avaient maintenant rencontré au total cinq emplacements de supports… plus que trente-trois. Helward n’était plus aussi contrarié par la lenteur du voyage. Il se rendait compte qu’il n’eût pu aller vite, même seul. Le terrain était trop difficile, le soleil trop brûlant.
Il décida de rester deux heures à l’ombre des arbres. Rosario, un peu à l’écart, jouait avec l’enfant. Caterina et Lucia étaient assises sous un arbre. Elles avaient ôté leurs chaussures et bavardaient calmement. Helward ferma les yeux quelques instants, mais il s’agita bientôt. Il quitta seul l’abri des arbres pour aller contempler les cicatrices laissées par les quatre voies. Il regarda à gauche et à droite, au nord et au sud : la ligne courait, droite, sans faute, ondulant légèrement avec le sol, mais maintenant strictement sa direction.
Il resta là, savourant sa solitude relative un moment, et souhaitant voir le temps changer et le ciel se couvrir ne fût-ce qu’un moment. Il réfléchissait, se demandant s’il ne vaudrait pas mieux se reposer le jour et voyager la nuit, mais finit par conclure que c’était trop dangereux.