Читаем Le monde inverti полностью

— Non… Il n’y a pas grand-chose à en dire. Mais toi ? Comment est ta guilde ?

— Oh, ça va bien.

Même sans penser au serment qui me liait, je n’avais plus envie de bavarder. Pendant le brusque silence de Victoria, j’avais acquis l’impression très nette qu’elle aurait pu en raconter davantage, mais qu’une certaine pudeur l’en empêchait. Toute ma vie durant, l’absence de ma mère avait été considérée comme une chose naturelle. Mon père en parlait, le cas échéant, très simplement, sans qu’il parût y avoir là quelque chose de honteux. D’ailleurs bien des garçons de la crèche étaient dans le même cas, et bien plus, la plupart des filles également. Avant que le sujet eût provoqué cette réaction de Victoria, je n’y avais jamais réfléchi.

— Tu es un peu une rareté, commençai-je, dans l’espoir de revenir à la question par une voie détournée. Ta mère est toujours dans la ville.

— Oui.

Rien à ajouter. Je décidai de laisser tomber. De toute façon, je ne tenais pas tellement à discuter de problèmes qui ne nous concernaient pas directement. J’étais venu dans le dessein d’apprendre à connaître Victoria, et non de parler généalogie.

Mais mon impression demeurait. La conversation s’était éteinte.

— Qu’y a-t-il là ? demandai-je en désignant la fenêtre. Pouvons-nous y aller ?

— Si tu veux. Je vais te montrer.

Je la suivis hors de la pièce, dans le couloir, jusqu’à une porte s’ouvrant sur la cour. Pas grand-chose à voir : l’espace dégagé n’était qu’une allée entre les deux parties de l’immeuble. À une extrémité se dressait une section surélevée où l’on accédait par un escalier de bois. Nous allâmes d’abord à l’autre bout, où une porte donnait sur la ville. Au retour, nous escaladâmes les marches pour arriver sur une petite plate-forme garnie de bancs de bois. Il y avait un peu de place pour se remuer. La plate-forme était fermée sur deux côtés par des murs plus hauts, qui cachaient probablement d’autres parties internes de la cité, et le côté d’accès donnait sur les toits des pâtés de maisons et sur l’allée. Toutefois, sur le quatrième côté, la vue n’était nullement coupée et découvrait le paysage d’alentour. Ce fut pour moi une surprise… Selon les termes du serment, personne en dehors des membres des guildes ne devait jamais rien voir au-dehors de la ville.

— Qu’en penses-tu ? me demanda Victoria en s’asseyant sur un des bancs tournés vers le panorama.

Je m’assis près d’elle :

— Cela me plaît.

— Oui.

C’était difficile ; je me trouvais déjà en conflit avec les termes du serment. Comment parler à Victoria de mon travail sans me parjurer ?

— Il ne nous est pas permis de monter ici très souvent. C’est fermé la nuit, et ouvert seulement quelques heures le jour. Il arrive que ça reste fermé plusieurs jours d’affilée.

— Sais-tu pourquoi ?

— Et toi ? me dit-elle.

— C’est probablement… à cause des travaux qui s’y font.

— Et dont tu ne vas sûrement pas me parler.

— Non.

— Pourquoi pas ?

— Je ne peux pas.

Elle me regarda.

— Tu es très hâlé. Travailles-tu au soleil ?

— Une partie du temps.

— Cette plate-forme est interdite quand le soleil est au-dessus de nos têtes. Je n’en ai jamais vu que les rayons quand ils touchent les points les plus élevés des bâtiments.

— Il n’y a rien à voir, affirmai-je. Il est très brillant et on ne peut pas le regarder en face.

— J’aimerais bien en faire l’expérience moi-même.

— Que fais-tu pour le moment ? Comme travail ? lui demandai-je.

— Je m’occupe de nutrition.

— Mais encore ?

— Il s’agit de trouver le moyen d’équilibrer le régime. Nous devons nous assurer que l’aliment synthétique contient suffisamment de protéines et que les gens absorbent la quantité appropriée de vitamines. (Sa voix trahissait son manque d’intérêt pour le sujet.) Le soleil fournit des vitamines, tu sais ?

— Vraiment ?

— La vitamine D. Elle est produite dans le corps par l’action du soleil sur l’épiderme. C’est utile à savoir si l’on doit un jour voir le soleil.

— Mais on peut la synthétiser ?

— Oui. On le fait, d’ailleurs. Si nous retournions dans la chambre boire un peu de thé ?

Je ne répondis pas. J’ignorais ce que j’avais attendu de Victoria, mais sûrement pas cela ! Des images plutôt romantiques avaient hanté mes journées de travail près de Malchuskin, tempérées de temps à autre par l’impression qu’il nous faudrait sans doute nous adapter l’un à l’autre. De toute façon, il ne m’était jamais venu à l’esprit qu’il existerait entre nous un courant de ressentiment sous-jacent. Je nous avais imaginés travaillant ensemble à l’établissement des rapports intimes envisagés pour nous par nos parents et parvenant à leur donner la consistance d’une union solide, et peut-être de l’amour. Je n’avais certes pas prévu que Victoria envisagerait notre vie sous un autre angle : j’étais à ses yeux destiné à jouir à jamais des privilèges d’un mode de vie qui lui demeurait interdit.

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