— Deux jours, me précisa Malchuskin juste avant mon départ pour la cité. Ne restez pas plus longtemps. On sera bientôt aux treuils et on aura besoin de tous les hommes disponibles.
— Dois-je revenir près de vous ?
— Cela dépend de votre guilde… mais, oui ! Les deux prochains kilomètres se passeront avec moi. Après quoi vous serez transféré à une autre guilde pour trois kilomètres.
— Laquelle ?
— Je l’ignore. Votre guilde en décidera.
Le travail s’étant terminé tard le dernier soir, je dormis encore dans la cabane. J’avais d’ailleurs une autre raison : je ne désirais nullement retourner en ville une fois la nuit tombée et franchir la dépression encore gardée par les miliciens. Pendant la journée, on ne voyait que peu ou pas de milice, mais après ma première rencontre avec les soldats, Malchuskin m’avait informé qu’il y avait des sentinelles toutes les nuits. De plus, pendant la période précédant immédiatement les opérations des treuils, les voies étaient la zone la plus fortement protégée.
Le lendemain matin, je regagnai la ville en longeant la voie.
Il ne me fut pas difficile de retrouver la trace de Victoria, maintenant que j’étais autorisé à séjourner en ville. Avant, j’avais hésité, car je songeais constamment que je devais rejoindre Malchuskin le plus rapidement possible. J’avais à présent deux pleines journées de congé devant moi, dont je pouvais jouir sans mauvaise conscience.
Toutefois, ne sachant comment rejoindre Victoria, je dus me résigner à poser des questions. Après quelques erreurs, on m’indiqua une salle au quatrième niveau. Victoria et plusieurs autres jeunes gens y travaillaient sous la surveillance d’une administratrice. Dès que Victoria me vit debout sur le seuil, elle adressa quelques mots à la surveillante et vint à ma rencontre. Nous sortîmes dans le couloir.
— Bonjour, Helward, dit-elle en refermant la porte.
— Bonjour. Écoute… si tu as du travail, je peux te retrouver plus tard.
— Pas la peine. Tu es en congé, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Alors je suis en congé également. Viens.
Elle me conduisit par le couloir jusqu’à un passage latéral, puis nous descendîmes un court escalier. Au bas se trouvait encore un couloir flanqué de portes des deux côtés. Elle ouvrit l’une d’elles et nous entrâmes.
La pièce était bien plus spacieuse que toutes les chambres privées que j’avais vues jusqu’alors dans la ville. Le meuble le plus grand était le lit, placé contre un des murs, mais la pièce était confortable, avec une surface libre de dimensions surprenantes. Une table, deux fauteuils, une penderie. Un lavabo et un réchaud. Le plus inattendu, c’était la fenêtre.
Je m’en approchai aussitôt pour jeter un coup d’œil au-dehors. Un espace dégagé, borné en face par un autre mur percé de nombreuses fenêtres. La cour s’étendait à droite et à gauche, mais l’étroitesse de la fenêtre ne me permettait pas de voir ce qu’il y avait sur les côtés.
— Cela te plaît ? me demanda Victoria.
— C’est grand. Tout est pour toi ?
— En un sens… C’est pour nous, quand nous serons mariés.
— Ah oui ! Quelqu’un m’avait dit que j’aurais un logement personnel.
— C’est probablement celui-ci. Où vis-tu pour le moment ?
— Je suis toujours à la crèche. Mais je n’y ai plus séjourné depuis la cérémonie.
— Tu es déjà à l’extérieur ?
— Je…
Je ne savais trop que dire.
— Je sais que tu sors de la ville, reprit-elle. Ce n’est pas tellement secret.
— Que sais-tu d’autre ?
— Diverses choses. Mais, écoute ! On ne s’est encore pas parlé ! Veux-tu du thé ?
— Synthétique ? (Je me mordis immédiatement la langue… je ne voulais pas paraître impoli.)
— J’en ai peur. Mais je vais bientôt travailler avec l’équipe des synthétiques, je trouverai bien un moyen de l’améliorer.
L’atmosphère se détendait peu à peu. Pendant les deux premières heures, nous nous étions parlé plutôt froidement, manifestant tous deux une curiosité courtoise, mais bientôt nous nous sentîmes plus à l’aise. Victoria et moi n’étions déjà plus étrangers l’un à l’autre.