Connaissez-vous l'Alabanie ?C'est un coquet pays d'Europe du Sud qui a pour principales ressources l'exploitation des cactus et l'aide de la Chine populaire.Figurez-vous qu'il se passe des choses bizarroïdes à l'ambassade alabanienne de Paris… Mais le gros Bérurier et votre San-Antonio préféré vont sérieusement s'occuper du problème, croyez-moi !Malheureusement, le révérend Pinaud manque à l'appel et savez-vous pourquoi ? Parce que les Alabaniens lui ont fait la plus terrible, la plus perverse, la plus française des farces… LE COUP DU PÈRE FRANÇOIS !
Иронический детектив, дамский детективный роман / Шпионский детектив18+San-Antonio
Le coup du père François
CHAPITRE PREMIER
La voie était pâle, flageolante et un rien pleurarde. Je crus tout d'abord que c'était celle de Pinaud.
— Allô ! Je voudrais parler au commissaire San-Antonio.
— C'est moi.
— Dites-moi, Monsieur le commissaire, vous avez bien fréquenté le lycée de Saint-Germain-en-Laye, n'est-ce pas ?
Cette allusion à mon brillant passé scolaire me fit dresser l'oreille.
— En effet, pourquoi ?
— Ici c'est Morpion, vous vous souvenez de moi ?
Je restai comme deux ronds de flan. Une bouffée nostalgique de salle de classe me fit frémir les naseaux. Morpion ! Le cher, le doux, le bon Morpion !
— Pas possible ! Comment allez-vous monsieur le Professeur ?
— Mieux, répond-il, d'où je conclus sans grand mérite qu'il venait d'être malade.
— Qu'est-ce qui me vaut la joie de ce coup de fil ?
Il se racla la gorge. C'était un tic. Tous les cinq ou six mots, il produisait un petit couac comique avec son gosier.
Mon jeune ami…
Mon jeune ami ! Comme jadis, en classe. J'en eus un grand coup de tristesse douceâtre dans le violon.
— Dites-moi, mon jeune ami, est-ce qu'un policier aussi célèbre et occupé que vous l'êtes pourrait consacrer quelques minutes à un vieux bonhomme plus qu'à moitié moisi ?
J'éclatai de rire.
— En voilà une question ! Quand est-ce qu'on se voit ?
— Quand nous voyons-nous ? rectifia-t-il. Vous avez toujours eu un beau style mais un parler déplorable, Antoine !
Puis, revenant à ma question :
— Le plus tôt possible, espéra Morpion.
— Voulez-vous que j'aille chez vous ?
— Je n'osais vous le demander, je rentre de l'hôpital et j'ai les jambes en coton.
— O.K., j'arrive, donnez-moi votre adresse.
Morpion habitait rue de la Pompe. Et pourtant, je vous jure qu'il ne faisait pas seizième !
— Sixième gauche ! me virgule la concierge, une imposante dame rasée de frais.
Je m'insinue dans l'ascenseur et tout en me laissant hisser je réunis mes souvenirs pour une conférence de presse. Morpion, ç'a été mon prof de français en seconde et en première. Je n'ai jamais su d'où lui venait cet irrévérencieux surnom. Des aînés l'avaient baptisé ainsi et je vous parie que s'il professe encore on continue de l'appeler Morpion. Il n'y a pas que les écrits, qui perpétuent l'histoire !
Comme je referme la lourde de l'ascenseur, une porte s'entrouvre sur le palier et, dans l'entrebâillement, je découvre le bon vieux Morpion. Les quelque quinze années qui se sont écoulées depuis mon départ du lycée ne lui ont pas fait de cadeau. En l'apercevant, je me rends compte à quel point les enfants font de fausses estimations quant à l'âge des grandes personnes. A l'époque, je le croyais vioque, Morpion. Je le situai dans les croulants. Mais c'est seulement maintenant qu'il a de la boutanche, le pauvre baquet.
Son petit crane chauve et pointu fait des vagues. Sa couronne de cheveux blonds est devenue grise.- Ses paupières se sont alourdies et il a troqué ses lunettes d'or contre des bésicles à monture d'écaille. Il a une tronche comme un poing et il est plus pâle qu'un faire-part de mariage.
Une seule chose n'a pas changé : son accoutrement. A croire qu'il porte le même costar sombre aux revers trop larges, le même col de celluloid blanc sur une chemise bleue reprisée, la même cravate noire en corde et les mêmes manchettes trop longues qui lui arrivent au ras des ongles.
— Eh bien, mon jeune ami ! fait-il de sa petite voix minutieuse et bêlante, vous avez changé depuis le lycée !
Je serre sa petite main fiévreuse et il me fait entrer dans son castel.
L'appartement n'est pas racontable. Faut vraiment être un vieux pédagogue pour crécher ici. Les meubles croulent sous les livres. Des bouquins jonchent le sol et s'empilent dans le couloir. C'est une sorte de lèpre monstrueuse qui bouffe tout. Des vieilles nippes, du linge sale, de la vaisselle souillée s'accumulent dans les endroits les plus inattendus.
Mais pire que le désordre, ce qui frappe, c'est l'odeur. Une demi-douzaine de greffiers m'en rendent compte. On fait de l'Holliday on ice sur les résidus de ces messieurs.
— Le ménage n'est pas fait, m'avertit Morpion, excusez-moi. Mais je suis rentré ce matin de l'hôpital.
— Qu'aviez-vous ?
— Une glomurite distendue de la membrane perchée, m'explique-t-il.
— C'était douloureux ?
— Au début on ne s'en rend pas compte, mais progressivement les symptômes apparaissent. On commence par faire un foutriquet latent du capuchon et ça évolue très vite, jusqu'à ce qu'on assiste à un affaissement de l'Huhéner. Lorsque le professeur Bhandemhoux m'a opéré, j'étais sur le point de faire un culbutus du croupionus.
Tout en m'expliquant sa maladie, il a débarrassé un fauteuil des livres, des chats et, des excréments qui l'encombraient.
— Asseyez-vous, mon jeune ami. Je peux vous offrir un petit quelque chose ?
— Volontiers, accepté-je.
Et Je me gondole comme une fête nautique sur le Grand Canal.
— Si je m'étais douté qu'un jour vous me paieriez à boire, dis-je.