Читаем Le Comte de Monte-Cristo. Tome III полностью

«Je me cachai dans celui le plus près duquel devait passer Villefort; à peine y étais-je, qu’au milieu des bouffées de vent qui courbaient les arbres au-dessus de mon front, je crus distinguer comme des gémissements. Mais vous savez, ou plutôt vous ne savez pas, monsieur le comte, que celui qui attend le moment, de commettre un assassinat croit toujours entendre pousser des cris sourds dans l’air. Deux heures s’écoulèrent pendant lesquelles, à plusieurs reprises, je crus entendre les mêmes gémissements. Minuit sonna.

«Comme le dernier son vibrait encore lugubre et retentissant, j’aperçus une lueur illuminant les fenêtres de l’escalier dérobé par lequel nous sommes descendus tout à l’heure.

«La porte s’ouvrit, et l’homme au manteau reparut. C’était le moment terrible; mais depuis si longtemps je m’étais préparé à ce moment, que rien en moi ne faiblit: je tirai mon couteau, je l’ouvris et je me tins prêt.

«L’homme au manteau vint droit à moi, mais à mesure qu’il avançait dans l’espace découvert, je croyais remarquer qu’il tenait une arme de la main droite: j’eus peur, non pas d’une lutte, mais d’un insuccès. Lorsqu’il fut à quelques pas de moi seulement, je reconnus que ce que j’avais pris pour une arme n’était rien autre chose qu’une bêche.

«Je n’avais pas encore pu deviner dans quel but M. de Villefort tenait une bêche à la main, lorsqu’il s’arrêta sur la lisière du massif, jeta un regard autour de lui, et se mit à creuser un trou dans la terre. Ce fut alors que je m’aperçus qu’il y avait quelque chose dans son manteau, qu’il venait de déposer sur la pelouse pour être plus libre de ses mouvements.

«Alors, je l’avoue, un peu de curiosité se glissa dans ma haine: je voulus voir ce que venait faire là Villefort; je restai immobile, sans haleine, j’attendis.

«Puis une idée m’était venue, qui se confirma en voyant le procureur du roi tirer de son manteau un petit coffre long de deux pieds et large de six à huit pouces.

«Je le laissai déposer le coffre dans le trou, sur lequel il repoussa la terre; puis, sur cette terre fraîche, il appuya ses pieds pour faire disparaître la trace de l’œuvre nocturne. Je m’élançai alors sur lui et je lui enfonçai mon couteau dans la poitrine en lui disant:

« – Je suis Giovanni Bertuccio! ta mort pour mon frère, ton trésor pour sa veuve: tu vois bien que ma vengeance est plus complète que je ne l’espérais.

«Je ne sais s’il entendit ces paroles; je ne le crois pas, car il tomba sans pousser un cri; je sentis les flots de son sang rejaillir brûlants sur mes mains et sur mon visage; mais j’étais ivre, j’étais en délire; ce sang me rafraîchissait au lieu de me brûler. En une seconde, j’eus déterré le coffret à l’aide de la bêche; puis, pour qu’on ne vît pas que je l’avais enlevé, je comblai à mon tour le trou, je jetai la bêche pardessus le mur, je m’élançai par la porte, que je fermai à double tour en dehors et dont j’emportai la clef.

– Bon! dit Monte-Cristo, c’était, à ce que je vois, un petit assassinat doublé de vol.

– Non, Excellence, répondit Bertuccio, c’était une vendetta suivie de restitution.

– Et la somme était ronde, au moins?

– Ce n’était pas de l’argent.

– Ah! oui, je me rappelle, dit Monte-Cristo n’avez-vous pas parlé d’un enfant?

– Justement, Excellence. Je courus jusqu’à la rivière, je m’assis sur le talus, et, pressé de savoir ce que contenait le coffre, je fis sauter la serrure avec mon couteau.

«Dans un lange de fine batiste était enveloppé un enfant qui venait de naître; son visage empourpré, ses mains violettes annonçaient qu’il avait dû succomber à une asphyxie causée par des ligaments naturels roulés autour de son cou; cependant, comme il n’était pas froid encore, j’hésitai à le jeter dans cette eau qui coulait à mes pieds. En effet, au bout d’un instant je crus sentir un léger battement vers la région du cœur; je dégageai son cou du cordon qui l’enveloppait, et, comme j’avais été infirmier à l’hôpital de Bastia, je fis ce qu’aurait pu faire un médecin en pareille circonstance; c’est-à-dire que je lui insufflai courageusement de l’air dans les poumons, qu’après un quart d’heure d’efforts inouïs je le vis respirer, et j’entendis un cri s’échapper de sa poitrine.

«À mon tour, je jetai un cri, mais un cri de joie. Dieu ne me maudit donc pas, me dis-je, puisqu’il permet que je rende la vie à une créature humaine en échange de la vie que j’ai ôtée à une autre!

– Et que fîtes-vous donc de cet enfant? demanda Monte-Cristo; c’était un bagage assez embarrassant pour un homme qui avait besoin de fuir.

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