Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome III полностью

Rousseau ne répondit rien. Le président lut sur son visage le dégoût de la discussion et le regret de s’être engagé dans cette entreprise.

– Frère, dit-il avec autorité au jeune homme, vous voudrez bien garder le silence quand le chef parle, et ne pas vous permettre de blâmer légèrement ses actes, qui sont souverains.

– J’ai droit d’interpeller, répondit plus doucement le jeune homme.

– D’interpeller, oui; de blâmer, non. Le frère qui va entrer dans l’association est assez connu pour que nous ne cherchions pas à mettre dans nos relations maçonniques un ridicule et inutile mystère, Tous les frères présents savent son nom, et son nom est une garantie. Mais, comme lui-même, j’en suis sur, aime l’égalité, je le prie de s’expliquer sur la question que je pose uniquement pour la forme: «Que cherchez-vous dans l’association?»

Rousseau fit deux pas, et, s’isolant de la foule, promena sur l’assemblée un œil rêveur et mélancolique.

– J’y cherche, dit-il, ce que je n’y trouve pas. Des vérités, non des sophismes. Pourquoi m’entoureriez-vous de poignards qui ne percent pas, de poisons qui sont de l’eau claire, et de trappes au-dessous desquelles sont disposés des matelas? Je connais la ressource des forces humaines. Je connais la vigueur de mon ressort physique. Si vous le brisez, ce n’est pas la peine que vous m’élisiez votre frère; mort, je ne vous servirais pas: donc, vous ne voulez pas me tuer, me blesser encore moins; et tous les praticiens du monde ne me feraient pas trouver bonne l’initiation pendant laquelle on m’aurait brisé un membre.

«J’ai fait plus que vous tous mon apprentissage de douleurs; j’ai sondé le corps et j’ai palpé jusqu’à l’âme… Si j’ai accepté de venir parmi vous lorsqu’on m’en a sollicité – et il appuya sur ce mot – c’est que je croyais pouvoir être utile. Je donne donc, je ne reçois pas.

«Hélas! avant que vous puissiez quelque chose pour me défendre, avant que vous me donniez par vos propres moyens la liberté si on m’emprisonne, du pain si on m’affame, des consolations si on m’afflige; avant, dis-je, que vous soyez quelque chose, ce frère que vous admettez aujourd’hui, si monsieur le permet, ajouta-t-il en se tournant vers Marat, ce frère aura payé son tribut à la nature, car le progrès est boiteux, car la lumière est lente, et, de l’endroit où il sera tombé, nul d’entre vous ne le tirera…

– Vous vous trompez, illustre frère, dit une voix suave et pénétrante qui attira doucement Rousseau, il y a plus que vous ne pensez dans l’association que vous voulez bien accepter; il y a tout l’avenir du monde; l’avenir, vous le savez, c’est l’espoir, c’est la science; l’avenir, c’est Dieu qui doit donner sa lumière au monde, puisqu’il a promis qu’il la donnerait. Or, Dieu ne saurait mentir.

Rousseau, surpris de ce langage élevé, regarda et reconnut l’homme encore jeune qui lui avait donné rendez-vous le matin au lit de justice.

Cet homme, vêtu de noir, avec une certaine recherche, et surtout avec une grande distinction, se tenait adossé à une face latérale de l’estrade, et son visage, éclairé par une molle lueur, brillait de toute sa beauté, de toute sa grâce, de toute son expression naturelle.

– Ah! dit Rousseau, la science, abîme sans fond! Vous me parlez science, vous! consolation, avenir, promesse; un autre me parle matière, rigueur et violence: lequel croire? Il en sera donc de l’assemblée des frères comme parmi les loups dévorants de ce monde qui s’agite au-dessus de nous? Loups et brebis! Écoutez donc ma profession de foi, puisque vous ne l’avez pas lue dans mes livres.

– Vos livres! s’écria Marat, ils sont sublimes, d’accord; mais ce sont des utopies; vous êtes utile au même point de vue que Pythagore, que Solon et que Cicéron le sophiste. Vous indiquez le bien, mais un bien artificiel, insaisissable. inaccessible; vous ressemblez à celui qui voudrait nourrir une foule affamée avec des bulles d’air plus ou moins irisées par le soleil.

– Avez-vous vu, dit Rousseau en fronçant le sourcil, les grandes commotions de la nature se faire sans préparations? avez-vous vu naître l’homme, cet événement vulgaire et pourtant sublime? l’avez-vous vu naître sans qu’il ait amassé neuf mois la substance et la vie aux flancs de sa mère? Ah! vous voulez que je régénère le monde avec des actes?… Ce n’est pas régénérer cela, monsieur, c’est révolutionner!

– Alors, riposta violemment le jeune chirurgien, alors vous ne voulez pas de l’indépendance? alors vous ne voulez pas de la liberté?

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