– Comment n’en avez-vous point la clef? Vous m’apportez un coffret qui renferme le repos d’un royaume et vous en oubliez la clef!
– Est-il donc si difficile d’ouvrir une serrure?
– Non, quand on la connaît.
Puis, après un instant:
– Nous avons ici, continua-t-il, des clefs pour toutes les serrures; on va vous en donner un trousseau – il regarda fixement Lorenza – et vous ouvrirez vous-même, continua-t-il.
– Donnez, dit simplement Lorenza.
M. de Sartine tendit à la jeune femme un trousseau de petites clefs ayant toutes les formes.
Elle le prit.
M. de Sartine toucha sa main, elle était froide comme une main de marbre.
– Mais, dit-il, pourquoi n’avez-vous pas apporté la clef du coffre?
– Parce que le maître du coffre ne s’en sépare jamais.
– Et le maître du coffre, cet homme plus puissant qu’un roi, quel est-il?
– Ce qu’il est, personne ne peut le dire; le temps qu’il a vécu, l’éternité seul le sait; les faits qu’il accomplit, nul ne les voit que Dieu.
– Mais son nom, son nom?
– Je l’en ai vu changer dix fois, de nom.
– Enfin, celui sous lequel vous le connaissez, vous?
– Acharat.
– Et il demeure?
– Rue Saint…
Tout à coup, Lorenza tressaillit, frissonna, laissa tomber le coffret qu’elle tenait d’une main et les clefs qu’elle tenait de l’autre; elle fit un effort pour répondre, sa bouche se tordit dans une convulsion douloureuse; elle porta ses deux mains à sa gorge, comme si les mots près de sortir l’eussent étranglée; puis, levant au ciel ses deux bras tremblants, sans avoir pu articuler un son, elle tomba de sa hauteur sur le tapis du cabinet.
– Pauvre petite! murmura M. de Sartine; que diable lui arrive-t-il donc? C’est qu’elle est vraiment fort jolie. Allons, allons, il y a de l’amour jaloux dans cette vengeance-là!
Il sonna aussitôt et releva lui-même la jeune femme qui, les yeux étonnés, les lèvres immobiles, semblait morte et déjà détachée de ce monde.
Deux valets entrèrent.
– Enlevez avec précaution cette jeune dame, dit le lieutenant de police, et portez-la dans la chambre voisine. Tachez qu’elle reprenne ses sens; surtout pas de violence. Allez.
Les valets obéissants emportèrent Lorenza.
Fin de la troisième partie.
1846 – 1848