Le roi mit le nez à la fenêtre et vit tous ces apprêts de départ.
– Qu’est-ce à dire, comtesse? demanda-t-il; ne déjeunons-nous pas? on dirait que vous m’allez renvoyer à jeun.
– À Dieu ne plaise, sire! répondit la comtesse; mais j’ai cru que Votre Majesté avait rendez-vous à Marly avec M. de Sartine.
– Pardieu! fit le roi, il me semble qu’on pourrait bien faire dire à Sartine de me venir trouver ici, c’est si près.
– Votre Majesté me fera l’honneur de croire, dit la comtesse en souriant, que ce n’est pas à elle que la première idée en est venue.
– Et puis, d’ailleurs, la matinée est trop belle pour qu’on travaille: déjeunons.
– Sire, il faudra pourtant bien me donner quelques signatures, à moi.
– Pour madame de Béarn?
– Justement, et puis m’indiquer le jour.
– Quel jour?
– Et l’heure.
– Quelle heure?
– Le jour et l’heure de ma présentation.
– Ma foi, dit le roi, vous l’avez bien gagnée, votre présentation, comtesse. Fixez le jour vous-même.
– Sire, le plus proche possible.
– Tout est donc prêt?
– Oui.
– Vous avez appris à faire vos trois révérences?
– Je le crois bien; il y a un an que je m’y exerce.
– Vous avez votre robe?
– Vingt-quatre heures suffisent pour la faire.
– Vous avez votre marraine?
– Dans une heure elle sera ici.
– Eh bien! comtesse, voyons, un traité.
– Lequel?
– Vous ne me parlerez plus de cette affaire du vicomte Jean avec le baron de Taverney?
– Nous sacrifions donc le pauvre vicomte?
– Ma foi, oui!
– Eh bien! sire, nous n’en parlerons plus… Le jour?
– Après-demain.
– L’heure?
– Dix heures du soir, comme de coutume.
– C’est dit, sire?
– C’est dit.
– Parole royale?
– Foi de gentilhomme.
– Touche là, la France.
Et madame du Barry tendit au roi sa jolie petite main, dans laquelle Louis XV laissa tomber la sienne.
Ce matin-là, tout Luciennes se ressentit de la gaieté du maître; il avait cédé sur un point sur lequel depuis longtemps il était décidé à céder, mais il avait gagné sur un autre: c’était donc tout bénéfice. Il donnerait cent mille livres à Jean, à condition que celui-ci irait les perdre aux eaux des Pyrénées ou d’Auvergne, et cela passerait pour un exil aux yeux des Choiseul. Il y eut des louis d’or pour les pauvres, des gâteaux pour les carpes et des compliments pour les peintures de Boucher.
Quoiqu’elle eût parfaitement soupé la veille, Sa Majesté déjeuna de grand appétit.
Cependant onze heures venaient de sonner. La comtesse, tout en servant le roi, lorgnait la pendule, trop lente à son gré.
Le roi lui-même avait pris la peine de dire que si madame de Béarn arrivait, on pouvait l’introduire dans la salle à manger.
Le café fut servi, goûté, bu, sans que madame de Béarn arrivât.
À onze heures un quart, on entendit retentir dans la cour le galop d’un cheval.
Madame du Barry se leva rapidement et regarda par la fenêtre.
Un courrier de Jean du Barry sautait à bas d’un cheval ruisselant de sueur.
La comtesse frissonna; mais, comme elle ne devait laisser rien voir de ses inquiétudes, afin de maintenir le roi dans ses bonnes dispositions, elle revint s’asseoir près de lui.
Un instant après, Chon entra, un billet dans sa main.
Il n’y avait pas à reculer, il fallait lire.
– Qu’est-ce là, grande Chon? un billet doux? dit le roi.
– Oh! mon Dieu, oui, sire.
– Et de qui?
– Du pauvre vicomte.
– Bien sûr?
– Voyez plutôt.
Le roi reconnut l’écriture, et comme il pensa qu’il pouvait être question dans le billet de l’aventure de La Chaussée:
– Bon, bon, dit-il en l’écartant de la main, cela suffit.
La comtesse était sur des épines.
– Le billet est pour moi? demanda-t-elle.
– Oui, comtesse.
– Le roi permet?…
– Faites, pardieu! Chon me dira
Et il attira Chon entre ses jambes en chantant de la voix la plus fausse de son royaume, comme disait Jean-Jacques:
La comtesse se retira dans l’embrasure d’une fenêtre et lut:
«N’attendez pas la vieille scélérate; elle prétend s’être brûlé le pied hier soir, et elle garde la chambre. Remercions Chon de sa bonne arrivée d’hier, car c’est elle qui nous vaut cela; la sorcière l’a reconnue, et voilà notre comédie tournée.
«C’est bien heureux que ce petit gueux de Gilbert, qui est la cause de tout cela, soit perdu. Je lui tordrais le cou. Mais si je le retrouve, qu’il soit tranquille, cela ne peut pas lui manquer.
«Je me résume. Venez vite à Paris, ou nous redevenons tout comme devant,
«Jean»
– Qu’est-ce? fit le roi, qui surprit la pâleur subite de la comtesse.
– Rien, sire; un bulletin de la santé de mon beau-frère.
– Et il va de mieux en mieux, ce cher vicomte?
– De mieux en mieux, dit la comtesse. Merci, sire. Mais voici une voiture qui entre dans la cour.
– Notre comtesse, sans doute?
– Non, sire c’est M. de Sartine.
– Eh bien! fit le roi voyant que madame du Barry gagnait la porte.
– Eh bien! sire, répondit la comtesse, je vous laisse avec lui, et je passe à ma toilette.
– Et madame de Béarn?