— Va donc lui chatouiller les pieds ! grogna le nain. Tu verras bien s’il réagit.
— C’est ce que je vais faire, dit le kender d’un air ravi.
Avant que le nain ait pu faire un geste, le kender avait sautillé dans les fourrés et, à la faveur de l’obscurité, il approchait du camp. De fureur, Flint se serait arraché la barbe, mais il était trop tard pour arrêter Tass. Il ne pouvait que le suivre.
— Tanis !
L’appel semblait sortir des profondeurs d’un gouffre. Le demi-elfe essaya de répondre, mais sa bouche était remplie d’une substance gluante. Une main l’aida à se mettre sur son séant, et il parvint à ouvrir les yeux. La nuit était tombée. La lueur diffuse qu’il voyait devait provenir d’un grand feu. Sturm était près de lui.
— Ça va à peu près, répondit Tanis au bout d’un moment. Où sommes-nous ? Personne n’est blessé ?
— Nous sommes dans un camp draconien. Raistlin est gravement malade. Tass et Flint ont disparu.
— Raistlin…, que lui est-il arrivé ?
— Il a reçu une flèche empoisonnée, dit Rivebise.
Tanis et ses compagnons étaient enfermés dans une cage de bambou, gardée par des draconiens armés d’épées courbes. Des centaines de soldats grouillaient autour du feu, face auquel se dressait un gigantesque dragon.
— Eh oui, dit Sturm devant l’expression de surprise de Tanis. C’est un dragon. Balivernes…, prétendait Flint ! Raistlin jubilerait d’avoir eu raison.
Tanis s’approcha du mage, allongé sous un manteau au fond de la cage. Encore inconscient, il grelottait et transpirait de fièvre. Lunedor lui caressait doucement le front.
— Lunedor a retiré ça de son dos, dit Rivebise en tendant une flèche à Tanis. Qui sait quel poison coule maintenant dans ses veines…
— Si nous avions le bâton…, dit Lunedor.
— C’est vrai ! Où est-il ? demanda Tanis.
— Là-bas ! s’exclama Sturm, pointant la main vers le dragon avec une grimace de dégoût.
Tanis vit le bâton, posé sur la fourrure aux pieds du monstre noir.
— Nous pourrions facilement briser cette cage, dit Tanis, agrippé aux barreaux. À lui seul, Caramon en ferait du petit bois.
— Même Tass en serait capable, dit Sturm. Ensuite il ne resterait plus qu’à nous occuper de quelques centaines de ces créatures, sans oublier le dragon.
— D’accord, d’accord, ne remuons pas le couteau dans la plaie.
L’état du mage empirait. Lunedor lui prit le pouls et secoua la tête d’un air navré. À son côté, Caramon poussa un soupir d’impuissance. Son regard se posa sur les deux gardes qui ricanaient bruyamment devant la cage.
— Caramon ! Arrête ! cria Tanis.
Trop tard. Avec un feulement de fauve blessé, le grand guerrier se rua vers les draconiens. Les tiges de bambou cédèrent sous l’impact, des échardes lui déchirèrent la peau. Enragé, Caramon ne s’en rendit même pas compte.
— Tu es complètement fou, dit Sturm en s’agrippant au guerrier pour le retenir.
Mais rien ne pouvait endiguer la furie meurtrière de Caramon. Un des draconiens se retourna, l’épée brandie. D’un geste, Caramon envoya voler dans les airs l’arme et la créature. En quelques secondes, il fut encerclé par six draconiens, arc au poing. Sturm et Rivebise le plaquèrent au sol et s’arc-boutèrent sur ses épaules pour qu’il reste par terre.
Une voix aiguë s’éleva au-dessus du brouhaha du camp.
— Amenez-moi ce guerrier ! ordonna le dragon.
Tanis sentit ses cheveux se dresser sur sa tête. Les draconiens laissèrent retomber leurs armes et se tournèrent avec stupeur vers le dragon. Des murmures s’élevèrent parmi les soldats, qui se mirent en cercle autour de leur idole.
Une des créatures, qui portait un insigne sur son armure, se dirigea vers le draconien en tunique, resté bouche bée depuis que le dragon avait parlé.
— Que se passe-t-il au juste ? demanda-t-il.
Tanis comprit qu’il y avait deux sortes de draconiens : ceux en tunique, des magiciens et des prêtres, et ceux en armure, qui ne devaient pas parler la même langue. Le soldat était visiblement hors de lui.
— Où est votre fichu prêtre ? C’est à lui de nous dire ce qu’il faut faire ! clama-t-il.
— Notre supérieur est absent, répondit le draconien en tunique, qui avait vite repris ses esprits. L’un des
— Mais le dragon ne prend jamais la parole quand le prêtre n’est pas là ! (Il baissa la voix.) Mes hommes n’aiment pas ça. Tu ferais bien d’agir.
La voix du dragon s’éleva de nouveau, pleine de reproches :
— On me fait attendre ! Amenez-moi ce guerrier !
— Faites ce que dit le dragon ! ordonna le draconien en tunique aux soldats.
Ils se ruèrent sur la cage et écartèrent Sturm et Rivebise de Caramon. Ils le prirent par les bras et le tirèrent devant le feu, face au dragon. À ses pieds, gisaient les armes et les bagages des compagnons, et le bâton de Lunedor.
Prêt à affronter le monstre auréolé de nuages de fumée, Caramon s’avança pour prendre son épée.
— Justice sera vite rendue, vermine humaine ! siffla le dragon en agitant ses ailes.