Читаем Comme un roman полностью

– Il ne se contentait pas de lire. Il nous racontait! Il nous racontait Don Quichotte!Madame Bovary! D'énormes morceaux d'intelligence critique, mais qu'il nous servait d'abord comme de simples histoires. Sancho, par sa bouche, devenait une outre de vie, et le Chevalier à la Triste Figure un grand fagot d'os armé de certitudes atrocement douloureuses! Emma, telle qu'il nous la racontait, n'était pas seulement une idiote gangrenée par «la poussière des vieux cabinets de lecture», mais un sac d'énergie phénoménal, et c'était Flaubert qu'on entendait, par la voix de Perros ricaner devant ce gâchis Hénaurme!

Chères bibliothécaires, gardiennes du temple, il est heureux que tous les titres du monde aient trouvé leur alvéole dans la parfaite organisation de vos mémoires (comment m'y retrouverais-je, sans vous, moi dont la mémoire tient du terrain vague?), il est prodigieux que vous soyez au fait de toutes les thématiques ordonnées dans les rayonnages qui vous cernent… mais qu'il serait bon, aussi, de vous entendre raconter vos romans préférés aux visiteurs perdus dans la forêt des lectures possibles… comme il serait beau que vous leur fassiez l'hommage de vos meilleurs souvenirs de lecture! Conteuses, soyez - magiciennes - et les bouquins sauteront directement de leurs rayons dans les mains du lecteur.

C'est si simple de raconter un roman. Trois mots suffisent, parfois.

Souvenir d'enfance et d'été. L'heure de la sieste. Le grand frère à plat ventre sur son lit, menton dans les paumes, plongé dans un énorme Livre de poche. Le petit frère, mouche du coche: «Qu'est-ce que tu lis?»

le grand: La Mousson.

le petit: C'est bien?

LE grand: Vachement!

le petit: Qu'est-ce que ça raconte?

le grand: C'est l'histoire d'un mec: au début, il boit beaucoup de whisky, à la fin il boit beaucoup d'eau!

Il ne m'en a pas fallu davantage pour passer la fin de cet été-là trempé jusqu'aux os par La Mousson de Monsieur Louis Bromfield, piqué à mon frangin qui ne l'a jamais fini.

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Tout cela est très joli, Siiskind, Stevenson, Marquez, Dostoïevski, Fante, Chester Himes, Lagerlôf, Calvino, tous ces romans lus en vrac et sans contrepartie, toutes ces histoires racontées, cet anarchique festin de lecture pour le plaisir de la lecture… mais le programme, bon Dieu, le Programme! Les semaines filent et le programme n'est pas encore entamé. Terreur de l'année qui coule, spectre du programme inachevé…

Pas de panique, le programme sera traité, comme on dit de ces arbres qui donnent des fruits calibrés.

Contrairement à ce qu'imaginait Banane et Santiags, le professeur ne passera pas toute l'année à lire. Hélas! Hélas! pourquoi a-t-il fallu que se réveille si vite le plaisir de la lecture muette et solitaire? A peine entame-t-il un roman à voix haute qu'on se précipite en librairie pour s'offrir «la suite» avant le cours suivant. A peine raconte-t-il deux ou trois histoires «… pas la fin, ui'sieur, ne racontez pas la fin!»… qu'on avale les bouquins dont il les a tirées.

(Unanimité qui, d'ailleurs, ne doit pas l'abuser. Non, non, le professeur ne vient pas d'un coup de baguette magique de métamorphoser en lecteurs 100 % de réfractaires au livre. En ce début d'année tout le monde lit, certes, peur vaincue, on lit sous le coup de l'enthousiasme, de l'émulation. Peut-être même, qu'il le veuille ou non, lit-on un peu pour complaire au prof… lequel, d'ailleurs, ne doit pas s'endormir sur les braises… rien ne refroidit plus vite qu'une ardeur, il en a souvent fait l'expérience! Mais pour l'instant on lit unanimement, sous l'emprise de ce cocktail chaque fois particulier qui fait qu'une classe confiante se comporte comme un individu tout en conservant sa trentaine d'individualités distinctes. Cela ne signifie pas qu'une fois devenu grand, chacun de ces élèves «aimera lire». D'autres plaisirs prendront peut-être le pas sur le plaisir du texte. Reste qu'en ces premières semaines de l'année, l'acte de lire - le fameux «acte de lire»! - ne terrorisant plus personne, on lit, et parfois très vite.)

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