Читаем Comme un roman полностью

Dès que se pose la question du temps de lire, c'est que l'envie n'y est pas. Car, à y regarder de près, personne n'a jamais le temps de lire. Ni les petits, ni les ados, ni les grands. La vie est une entrave perpétuelle à la lecture.

– Lire? Je voudrais bien, mais le boulot, les enfants, la maison, je n'ai plus le temps…

– Comme je vous envie d'avoir le temps de lire!

Et pourquoi celle-ci, qui travaille, fait des courses, élève des enfants, conduit sa voiture, aime trois hommes, fréquente le dentiste, déménage la semaine prochaine, trouve-t-elle le temps de lire, et ce chaste rentier célibataire non?

Le temps de lire est toujours du temps volé. (Tout comme le temps d'écrire, d'ailleurs, ou le temps d'aimer.)

Volé à quoi?

Disons, au devoir de vivre.

C'est sans doute la raison pour laquelle le métro - symbole rassis dudit devoir - se trouve être la plus grande bibliothèque du inonde.

Le temps de lire, comme le temps d'aimer, dilate le temps de vivre.

Si on devait envisager l'amour du point de vue de notre emploi du temps, qui s'y risquerait? Qui a le temps d'être amoureux? A-t-on jamais vu, pourtant, un amoureux ne pas prendre le temps d'aimer?

Je n'ai jamais eu le temps de lire, mais rien, jamais, n'a pu m'empêcher de finir un roman que j'aimais.

La lecture ne relève pas de l'organisation du temps social, elle est, comme l'amour, une manière d'être.

La question n'est pas de savoir si j'ai le temps de lire ou pas (temps que personne, d'ailleurs, ne me donnera), mais si je m'offre ou non le bonheur d'être lecteur.

Discussion que Banane et Santiags résume en un slogan ravageur:

– Le temps de lire? Je l'ai dans ma poche!

A la vue du bouquin qu'il en sort (Légendes d'automne de Jim Harrison, 10/18), Burlington approuve, méditatif:

– Oui… quand on achète une veste, l'important, c'est que les poches soient au bon format!

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En argot, lire se dit ligoter.

En langage figuré un gros livre est un pavé.

Relâchez ces liens-là, le pavé devient un nuage.

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Une seule condition à cette réconciliation avec la lecture: ne rien demander en échange. Absolument rien. N'élever aucun rempart de connaissances préliminaires autour du livre. Ne pas poser la moindre question. Ne pas donner le plus petit devoir. Ne pas ajouter un seul mot à ceux des pages lues. Pas de jugement de valeur, pas d'explication de vocabulaire, pas d'analyse de texte, pas d'indication biographique… S'interdire absolument de «parler autour».

Lecture-cadeau.

Lire et attendre.

On ne force pas une curiosité, on l'éveille.

Lire, lire, et faire confiance aux yeux qui s'ouvrent, aux bouilles qui se réjouissent, à la question qui va naître, et qui entraînera une autre question.

Si le pédagogue en moi s'offusque de ne pas «présenter l'œuvre dans son contexte», persuader ledit pédagogue que le seul contexte qui compte, pour l'heure, est celui de cette classe.

Les chemins de la connaissance n'aboutissent pas à cette classe: ils doivent en partir!

Pour le moment, je lis des romans à un auditoire qui croit ne pas aimer lire. Rien de sérieux ne pourra s'enseigner tant que je n'aurai pas dissipé cette illusion, fait mon travail d'entremetteur.

Dès que ces adolescents seront réconciliés avec les livres, ils parcourront volontiers le chemin qui va du roman à son auteur, et de l'auteur à son époque, et de l'histoire lue à ses multiples sens.

Le tout est de se tenir prêt.

Attendre de pied ferme l'avalanche des questions.

– Stevenson, c'est un Anglais?

– Un Ecossais.

– Quelle époque?

– xixe, sous le règne de Victoria.

– Il paraît qu'elle a régné longtemps, celle-là…

– 64 ans: 1837-1901.

– 64 ans!

– Elle régnait depuis 13 ans à la naissance de Stevenson, et il est mort 7 ans avant elle. Tu as quinze ans aujourd'hui, elle monte sur le trône, tu en auras 79 à la fin de son règne! (A une époque où la moyenne d'âge était d'une trentaine d'années.) Et ce n'était pas la plus rigolote des reines.

– C'est pour ça que Hyde est né d'un cauchemar!

La remarque vient de la Veuve sicilienne. Stupéfaction de Burlington:

– Comment tu sais ça, toi?

La Veuve, énigmatique:

– On se renseigne…

Puis, dans un discret sourire:

– Je peux même te dire que c'était un joyeux cauchemar. Quand Stevenson s'est réveillé, il est allé s'enfermer dans son bureau et a rédigé en deux jours une première version du bouquin. Sa femme la lui a fait brûler illico tellement il se sentait cool dans la peau de Hyde, à piller, à violer, à égorger tout ce qui bouge! La grosse reine n'aurait pas aimé ça. Alors, il a inventé Jekyll.

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Mais, lire à voix haute ne suffit pas, il faut raconter aussi, offrir nos trésors, les déballer sur l'ignorante plage. Oyez, oyez, et voyez comme c'est beau, une histoire!

Pas de meilleure façon, pour ouvrir un appétit de lecteur, que de lui donner à flairer une orgie de lecture.

De Georges Perros, l'étudiante émerveillée disait aussi:

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