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«A l'époque dont nous parlons, il régnait dans les villes une puanteur à peine imaginable pour les modernes que nous sommes. Les rues puaient le fumier, les arrière-cours puaient l'urine, les cages d'escalier puaient le bois moisi et la crotte de rat, les cuisines le chou pourri et la graisse de mouton; les pièces d'habitation mal aérées puaient la poussière renfermée, les courtepointes moites et le remugle acre des pots de chambre. Les cheminées crachaient une puanteur de soufre, les tanneries la puanteur de leurs bains corrosifs, et les abattoirs la puanteur du sang caillé. Les gens puaient la sueur et les vêtements non lavés; leurs bouches puaient les dents gâtées, leurs estomacs puaient le jus d'oignon, et leurs corps, dès qu'ils n'étaient plus tout jeunes, puaient le vieux fromage et le lait aigre et les tumeurs éruptives. Les rivières puaient, les places puaient, les églises puaient, cela puait sous les ponts et dans les palais. Le paysan puait comme le prêtre, le compagnon tout comme l'épouse de son maître artisan, la noblesse puait du haut jusqu'en bas, et le roi lui-même puait, il puait comme un fauve, et la reine comme une vieille chèvre, été comme hiver*… »

* Patrick Süskind, Le Parfum (Editions Fayard). Traduit par Bernard Lortholary.

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Cher Monsieur Süskind, merci! Vos pages exhalent un fumet qui dilate les narines et les rates. Jamais votre Parfum n'eut lecteurs plus enthousiastes que ces trente-cinq-là, si peu disposés à vous lire. Passé les dix premières minutes, je vous prie de croire que la jeune Veuve sicilienne vous trouvait tout à fait de son âge. C'était même touchant, toutes ses petites grimaces pour ne pas laisser son rire étouffer votre prose. Burlington ouvrait des yeux comme des oreilles, et «chut! bon dieu, la ferme!» dès qu'un de ses copains laissait aller son hilarité. Aux alentours de la page trente-deux, en ces lignes où vous comparez votre Jean-Baptiste Grenouille, alors en pension chez Madame Gaillard, à une tique en embuscade perpétuelle (vous savez? «la tique solitaire, concentrée et cachée dans son arbre, aveugle, sourde et muette, tout occupée à flairer sur des lieues à la ronde le sang des animaux qui passent…»), eh bien! vers ces pages-là, où l'on descend pour la première fois dans les moites profondeurs de Jean-Baptiste Grenouille, Banane et Santiags s'est endormi, la tête entre ses bras repliés. Un franc sommeil au souffle régulier. Non, non, ne le réveillez pas, rien de meilleur qu'un bon somme après berceuse, c'est même le tout premier des plaisirs dans l'ordre de la lecture. Il est redevenu tout petit, Banane et Santiags, tout confiant… et il n'est guère plus grand quand, l'heure sonnant, il s'écrie:

– Merde, je me suis endormi! Qu'est-ce qui s'est passé chez la mère Gaillard?

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Et merci à vous aussi, messieurs Marquez, Calvino, Stevenson, Dostoïevski, Saki, Amado, Gary, Fante, Dahl, Roche, vivants ou morts que vous soyez! Pas un seul, parmi ces trente-cinq réfractaires à la lecture, n'a attendu que le prof aille au bout d'un de vos livres pour le finir avant lui. Pourquoi remettre à la semaine prochaine un plaisir qu'on peut s'offrir en un soir?

– Qui c'est, ce Süskind?

– Il est vivant?

– Qu'est-ce qu'il a écrit d'autre?

– C'est écrit en français, Le Parfum? On dirait que c'est écrit en français. (Merci, merci, monsieur Lortholary, mesdames et messieurs de la traduction, lumières de Pentecôte, merci!)

Et, les semaines passant…

– Formidable, Chronique d'une mort annoncée! Et Cent ans de solitude, monsieur, ça raconte quoi?

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