Célia l'écoutait réconfortée, mais au fond, elle ne savait pas comment procéder dans de si difficiles circonstances quand une compagne de croyance se révélait à elle en toute sincérité.
Alors qu'Orphilia se tut un instant, la fille d'Helvidius la remercia en quelques mots :
Oui, Madame, je suis émue et je ne sais pas comment vous remercier.
Je suis blanchisseuse - a continué la plébéienne avec sa simplicité de cœur -, mais j'ai le bonheur d'avoir un mari miséricordieux et chrétien qui ne cesse de me fournir au travail et au sein de notre foyer les témoignages les plus sacrés de notre foi ! Tu vas le connaître !... Il s'appelle Horace et il sera heureux de savoir que nous pouvons t'être utiles en quoi que ce soit... J'ai aussi un fils du nom de Junin, qui est notre espoir pour l'avenir quand dans notre pauvreté matérielle nous ne serons plus en mesure de travailler !...
Et s'approchant de plus en plus de la pauvre maisonnette, elle ajouta :
Et toi, ma sœur, que t'est-il arrivé pour porter sur ton visage tant de tristesse et de désillusion ?... Si jeune et avec un enfant dans les bras, si belle et si malchanceuse ?...
Je suis veuve et abandonnée - s'exclama Célia les yeux en larmes -, mais j'espère que Jésus m'aidera à trouver le nécessaire pour mon fils et moi...
Elle n'avait pas encore fini ses explications timidement formulées qu'elles se trouvèrent sur le seuil d'une salle très pauvre, presque dégarnie.
Deux hommes parlaient à la faible clarté d'une torche et immédiatement ils se sont levés pour les recevoir.
Dûment présentée au père et au fils, Célia a remarqué qu'Horace semblait effectivement bon et sérieux, mais remarqua chez son fils quelque chose qui lui déplu beaucoup, il avait le regard des jeunes gens frivoles et inconstants, plein de fantaisie et très loquace.
Vous savez, mère - dit le jeune homme comme s'il avait toutes les qualités d'un cancanier -, un grand événement a bouleversé toute la ville !
Tandis qu'Orphilia faisait un geste d'étonnement, Junin continuait :
La première nouvelle qui a ébranlé aujourd'hui l'entourage du forum dans la matinée fut la mort du préfet Lolius Urbicus qui s'est suicidé scandaleusement, entraînant le gouvernement à de nombreux hommages !
Comme c'est étrange - s'exclama l'interpellée -, plusieurs fois, j'ai vu cet homme noble en public à l'allure fière et virile. Hier encore, je l'ai aperçu sur les chars à l'occasion des fêtes triomphales de l'Empereur. Son visage débordait de joie et pourtant...
Et bien - interrompit le chef de maison -, nous traversons une phase de terribles surprises dans toutes les classes sociales. Qui pourrait garantir avec certitude que le préfet des prétoriens s'est réellement suicidé ? Le mois passé, la ville a assisté à deux événements de ce type, pourtant, on a appris ensuite que les deux patriciens suicidaires avaient été cruellement assassinés par des tueurs de leur propre bande.
Célia assise dans un coin comme si elle était une jeune mendiante, écoutait ces remarques, amèrement impressionnée. La mort étrange de Lolius Urbicus l'atterrait. Bien qu'inquiète, elle faisait son possible pour ne pas trahir ses plus vives émotions.
Mais la journée n'a pas seulement été marquée par cet événement là -continuait Junin, loquace - ; on m'a dit au forum que quelques chrétiens ont été arrêtés alors qu'ils étaient réunis près de l'Esquilin et que le censeur Fabius Corneille et sa famille sont partis pour Capoue afin de rapporter à Rome les cendres de l'une des filles du tribun Helvidius Lucius, récemment décédée...
La jeune chrétienne reçut cette nouvelle avec étonnement, comprenant la gravité de sa situation face à ses parents orgueilleux et inexorables. Elle fut tristement choquée par des nouvelles aussi affligeantes... L'idée lui vint à l'esprit de retourner chez elle et de reposer son corps épuisé... Elle ne s'était jamais éloignée de son foyer, excepté quand elle se reposait auprès de son grand-père malade, au palais de l'Aventin. Elle s'est souvenue des serviteurs amicaux et dévoués, a évoqué tous les recoins du nid paternel avec ses aspects particuliers. Une nostalgie immense de sa mère l'a profondément envahie et pourtant par une secrète intuition, son cœur lui disait que jamais plus ses yeux ne reverraient la tranquillité du foyer paternel, si ce n'est lorsqu'elle aurait quitté la prison du monde. D'après les informations de Junin, elle comprit que les portes de la maison paternelle lui étaient à jamais fermées... Symboliquement morte, ce n'est qu'en tant qu'ombre qu'elle pourrait un jour retrouver les siens...
Observant ses yeux larmoyants et reconnaissant son énorme fatigue, Orphilia voulut interrompre les sujets frivoles lui adressant la parole gentiment :
Et toi, ma chère enfant, pour peu nous ne finissions pas notre histoire. Tu te dis veuve ? Mais, quelle pitié !... Tu es si jeune !
La prenant par la main, elle la conduisit à l'intérieur sous le regard surpris des deux hommes qui remarquaient la noblesse des traits de l'inconnue, tout en disant :