Profondément blessée dans les fibres les plus sensibles de son cœur maternel, Julia Spinter ne réussit pas à supporter un aussi profond chagrin, venant s'ajouter aux nombreux autres qui minaient son existence. Elle quitta la terre inopinément, sans que ses proches puissent au moins prévoir l'approche de sa mort qui eut lieu pendant la nuit, d'un seul coup et faisant suite à une crise cardiaque.
Ce nouveau deuil qui touchait la maison d'Helvidius provoqua chez Alba Lucinie les plus atroces souffrances. À cette époque, compte tenu de la disparition de Lolius Urbicus, Fabius Corneille avait reçu de nouvelles fonctions auprès de l'Empereur, charges qui lui accordaient de grands pouvoirs et de graves responsabilités pour résoudre les problèmes financiers existants.
Le décès de sa femme avait rempli son cœur de singuliers regrets. Il chercha, néanmoins, à réagir face aux forces qui le déprimaient, exerçant toujours son autorité avec le même orgueil qui le caractérisait.
Se sentant très seuls, HeMdius Lucius et sa femme auraient souhaité retourner à la tranquillité provinciale de la Palestine, mais le brusque décès de la noble femme les empêchait de réaliser à nouveau l'exécution des projets si longtemps caressés, concernés par l'isolement dans lequel se retrouverait le vieux censeur dont le cœur fier et froid leur avait toujours donné les plus grandes preuves d'amour et de dévouement.
Clarifiant la situation de tous les personnages, nous devons évoquer le cas de Claudia Sabine après les singuliers résultats des événements pénibles qu'elle avait elle-même funestement engendrés. Une fois son mari mort et se sentant frustrée par l'échec de tous ses plans, elle chercha en vain à voir Hatéria, qui, élevée à une position de confiance accrue au sein du foyer d'Helvidius Lucius, était disposée à ne jamais abandonner la demeure, craignant des représailles. En possession de la large somme que le tribun lui avait donnée en échange de son silence, la vieille employée a appelé son gendre et sa fille à la résidence de ses maîtres, pour leur livrer une partie de la petite fortune avec laquelle ils ont acquis, à son nom, un beau site à Benevento, organisant ainsi la vie de ses enfants jusqu'à ce qu'elle fût disposée à partir pour la vie rurale.
Malgré ses efforts, Claudia Sabine n'avait pu lui parler puisque Hatéria ne s'absentait jamais de la maison de ses maitres. De plus, Fabius Corneille détenait des pouvoirs de plus en plus puissants dans la ville impériale, l'obligeant indirectement à rester silencieuse et à distance.
C'est ainsi que l'ancienne plébéienne a quitté Rome pour Tibur, accompagnant les futilités de la cour d'Hadrien, dont les derniers temps de son règne se caractérisèrent par une cruelle indifférence.
Entourée de domestiques mais dans un complet ostracisme social, la veuve du préfet des prétoriens acquit une demeure tranquille où elle dut passer de longues années alimentant sa haine dans de détestables réflexions.
Après ces brèves observations, reprenons les pérégrinations de Célia pour accompagner sa pénible errance.
En quittant le pont Fabricius, elle avait marché au hasard voulant atteindre l'île du Tibre où se concentrait la plupart des pauvres.
Aux dernières lueurs de l'après-midi, elle chercha à traverser le pont Cestius, trouvant sur un bout de chemin une femme du peuple au visage humble et joyeux. Célia s'assit un moment pour accommoder le petit. Mais elle sentit que le regard de l'inconnue pénétrait doucement son cœur.
Finalement, éprouvant une secrète confiance inspirée par cette femme simple, elle a tracé par terre avec la main droite dans la poussière, un petit signe de croix, grâce auquel tous les chrétiens de la ville se reconnaissaient.
Toutes deux ont alors échangé un regard expressif de sympathie, pendant que l'inconnue s'approchait lui disant gentiment :
Tu es chrétienne ?
Oui - a murmuré Célia en sourdine.
Tu es perdue ? - a demandé discrètement l'inconnue révélant dans ces quelques mots la plus grande prudence afin de ne pas être surprise en tant qu'adeptes du christianisme.
Oui, Madame - a répondu Célia, quelque peu consolée par cet intérêt spontané -, je suis seule au monde avec ce petit.
Alors viens avec moi, il est possible que je te sois utile.
Dans l'océan d'incertitudes où elle se trouvait, avide de protection, la petite-fille de Cneius Lucius l'a suivie. Elles ont calmement traversé le pont Cestius comme de vieilles amies qui se seraient retrouvées, se dirigeant vers un ensemble de maisons pauvres.
Loin de la foule, la femme du peuple, toujours affectueuse, se mit à parler :
Ma bonne enfant, je m'appelle Orphilia et je suis ta sœur de foi ! Dès que je t'ai aperçue, j'ai compris que tu étais seule et abandonnée en ce monde ayant besoin de l'aide de tes frères ! Tu es jeune et Jésus est puissant. J'ai surpris des larmes dans tes yeux, mais tu ne dois pas pleurer quand tant de nos frères ont souffert d'atroces sacrifices par les temps amers que nous traversons...