XIII
Maintenant Marwan est mort, son corps noircit sous le soleil à Beyrouth près de l’aéroport, à cent kilomètres à peine du lieu de sa naissance.
Ahmad. La présence d’Ahmad aux côtés de Marwan trouble Intissar. Ahmad le cruel. Ahmad le lâche. Que faisaient-ils ensemble ? Depuis l’incident ils étaient uniquement unis par une cause commune et une haine froide. Pourtant la première fois qu’elle a vu Ahmad quelque chose en elle a tremblé. C’était sur la ligne de front, un an plus tôt, alors que quelques combattants revenaient du Sud. Ahmad était presque porté en triomphe. Il était beau, auréolé de victoire. Un groupe de fedayins s’était introduit dans la zone de sécurité, avait affronté une unité de l’armée israélienne et détruit un véhicule. Même Marwan était admiratif de leur courage. Intissar avait serré la main d’Ahmad et l’avait félicité. Les hommes changent. Les armes les transforment. Les armes et l’illusion qu’elles procurent. Le faux pouvoir qu’elles donnent. Ce qu’on pense pouvoir obtenir grâce à elles.
A quoi peut bien servir l’arme allongée sur ses cuisses comme un nouveau-né ? Qu’est-ce qu’elle va obtenir grâce à elle, trois oliviers et quatre pierres ? Un kilo d’oranges de Jaffa ? La vengeance. Elle va obtenir la paix de l’âme. Venger l’homme qu’elle aime. Puis la défaite sera consommée, la ville s’effondrera dans la mer, et tout disparaîtra.
— Salut les gars.
—
Ahmad a un bras en écharpe, il est souriant. Il n’a pas vu Intissar. Habib le congratule pour sa sortie de l’hôpital et, d’un signe de tête, attire son attention sur la jeune femme assise par terre.
Elle sent sa gorge se serrer.
Ahmad s’approche d’elle. Elle se lève. Il la fixe tristement dans les yeux.
— Intissar…
Il prend un air de circonstance, un air de deuil. Il pose son arme pour exprimer ses condoléances à la veuve.
— Intissar, il n’y avait rien à faire…
Elle sent un flot de larmes monter mais elle cherche à se contrôler. C’est une combattante. Les combattants ne pleurent pas en public.
— Nous étions en reconnaissance, juste devant. Un de leurs chars était planqué derrière un mur, moteur éteint, l’aube pointait à peine, ils nous ont alignés à la mitrailleuse, Marwan est tombé, j’ai été touché par un ricochet. Une éraflure, Dieu merci. Lui, il était… il était dans l’axe de tir, tu comprends ? Impossible de le tirer de là.
Elle reste de marbre.
— Et maintenant ? Et maintenant ? Tu crois que ce serait possible d’aller le chercher ?
— Je ne sais pas. Je ne sais pas, ils ont déplacé le char tout de suite après sans doute, mais…
— Cette nuit ?
— Tu… Tu veux le voir ?
— Comment ça ?
— Peut-être est-ce qu’on peut l’apercevoir, de là-haut. Habib, tu crois que je peux la faire monter sur le toit ? C’est calme, non ?
Habib esquisse un sourire peiné, il dit : Oui, si vous voulez, mais soyez prudents, s’ils vous repèrent ils vont vous prendre pour des snipers et nous bombarder à coup sûr. Faites attention aux reflets des armes et des jumelles, OK ?