— Tout ce qu'il y a de certain ! Vous pensez ; c'est pas aux vieux singes qu'on apprend à faire la grimace, ajoute-t-il en faisant la grimace.
CHAPITRE XIV
N'ayant rien de mieux à faire avant le départ, je vais m'allonger sur mon plume. Béru est en plein ciel de gloire. Il ronfle comme le ciel des Champs-Elysées un matin de quatorze juillet. Par moments il descend en piqué au-dessus des toits, puis vite il redresse le palonnier et reprend de l'altitude.
Cette fois c'est le caoua qui m'empêche de pioncer. Que fait un homme à l'horizontale quand il ne roupille pas? Il fait l'amour ! Mais quand il ne dort ni n'aime? Eh bien il pense. Je pense donc.
Je pense à tous ces morts. Je pense à ce mystérieux Ledvise qui m'a l'air de tirer les ficelles, de loin ! Je pense que logiquement les vélos amenés au garage par les tueurs devraient être en Légérium 34. Le Tour de France est un monstrueux fourgon bigarré et tonitruant dans lequel on peut fourrer de la came clandestine. Sortir de France le produit d'un vol aussi fracassant sous les guirlandes et les vivats constituerait un exploit peu banal, admettez !
Malgré l'examen approfondi de Jeannot, j'espère que l'arrivée du fameux compteur Strougnbitz va me donner raison. Je le sens, je le sais, j'en suis certain d'avance. (Mince, un alexandrin !)
Ça doit être fonnide tout de même ce Légérium 34. Plus costaud que l'acier et presque sans pesanteur ! Un avion de vingt mètres d'envergure pesant le poids d'un avion de papier ! Non, mais vous mordez les ressources? Naturellement
On tabasse à ma lourde. C'est Jeannot qui vient chercher son masseur afin de fourbir ses cracks. Le Gravos, ci-devant milliardaire en puissance, geint comme un nouveau-né. Il a du mal à faire surface après ses émotions de la nuit. Il remue toujours les lèvres et la langue avant de soulever les paupières car il a soif avant d'être réveillé. Ça fait un bruit de poissons déversés en vrac sur un étal de pierre. Un bruit mou, flasque et gluant. Un bruit d'eau-dans-les-bottes. Un bruit marécageux. Un bruit de pompe à merde asthmatique, poussive et saturée.
— Debout, paresseux ! tonne Méhunraillon. La journée va être terrible pour mes scouts. Va falloir leur administrer la grande séance, et pas pleurer le jus de muscle !
— On y va ! assure le Mastar en mettant pied à terre.
Sa chétive descente de Ut glisse sous son poids et la Béruche se retrouve avec le dargeot au sol avant de réaliser où il se trouve. Ses pieds s'agitent, attisant leur fumet. La Dnocne surcompressée lui pend sur les cuisses. Il se la gratte à deux mains en posant sur le monde retrouvé un regard pareil à du swing-gum trop mâché.
— Seize briques, soupire-t-il, déjà conscient, déjà harcelé par les vilains souvenirs.
— N'y pense plus, et va masser, massif masseur !
En grommelant il endosse son invraisemblable tenue. Puis, décrochant le téléphone, il demande qu'on lui serve son petit déjeuner dans la chambre du maillot jaune. Il exige, à la place du café-au-lait-complet, une bouteille de Côtes-du-Rhône, une omelette de six œufs, un saucisson à l'ail, un beau morceau de roquefort et des oignons blancs.
Dès qu'il a quitté la chambre je m'endors.
Et dès que je me suis endormi, la réception me réveille.
— Il y a là un monsieur qui arrive de Paris pour vous apporter une commission, m'informe le préposé.
J'aimerais bien solutionner cette histoire à Lausanne, moi. Si j'y parvenais je me payerais une chouette journée lézardeuse sur la rive suisse du Léman. J'adore le Vaudois. La vie y est restée potable, bonne à déguster. Je me paierais bien une petite Suissesse ; pas du tout dans le style Valérie, non, mais au contraire une gamine peu compliquée, aimant qu'on lui parle d'amour en termes choisis et qu'on le lui fasse simplement. Une blonde, ou bien une châtain clair de préférence, avec des yeux admiratifs et une bouche qui ne s'ouvre pas pour déconner, mais pour héberger.
J'accomplis quelques flexions de jambes, je me passe un peu d'eau fraîche sur le museau et je dégringole afin de réceptionner le fameux compteur Strougnbitz.