Toujours je la connus pensive et sérieuse;Enfant, dans les ébats de l’enfance joyeuseElle se mêlait peu, parlait déjà raison;Et quand ses jeunes sœurs couraient sur le gazon,Elle était la première à leur rappeler l’heure,A dire qu’il fallait regagner la demeure;Qu’elle avait de la cloche entendu le signal;Qu’il était défendu d’approcher du canal,De troubler dans le bois la biche familière,De passer en jouant trop près de la volière:Et ses sœurs l’écoutaient. Bientôt elle eut quinze ans,Et sa raison brilla d’attraits plus séduisants:Sein voilé, front serein où le calme repose,Sous de beaux cheveux bruns une figure rose,Une bouche discrète au sourire prudent,Un parler sobre et froid, et qui plaît cependant;Une voix douce et ferme, et qui jamais ne tremble,Et deux longs sourcils noirs qui se fondent ensemble,Le devoir l’animait d’une grande ferveur;Elle avait l’air posé, réfléchi, non rêveur:Elle ne rêvait pas comme la jeune fille,Qui de ses doigts distraits laisse tomber l’aiguille,Et du bal de la veille au bal du lendemainPense au bel inconnu qui lui pressa la main.Le coude à la fenêtre, oubliant son ouvrage,Jamais on ne la vit suivre à travers l’ombrageLe vol interrompu des nuages du soir,Puis cacher tout d’un coup son front dans son mouchoir.Mais elle se disait qu’un avenir prospèreAvait changé soudain par la mort de son père;Qu’elle était fille aînée, et que c’était raisonDe prendre part active aux soins de la maison.Ce cœur jeune et sévère ignorait la puissanceDes ennuis dont soupire et s’émeut l’innocence.Il réprima toujours les attendrissementsQui naissent sans savoir, et les troubles charmants,Et les désirs obscurs, et ces vagues délices,De l’amour dans les cœurs naturelles complices.Maîtresse d’elle-même aux instants les plus doux,En embrassant sa mère elle lui disait vous,Les galantes fadeurs, les propos pleins de zèleDes jeunes gens oisifs étaient perdus chez elle;Mais qu’un cœur éprouvé lui contât un chagrin,A l’instant se voilait son visage serein:Elle savait parler de maux, de vie amère,Et donnait des conseils comme une jeune mère.Aujourd’hui la voilà mère, épouse à son tour;Mais c’est chez elle encor raison plutôt qu’amour.Son paisible bonheur de respect se tempère;Son époux déjà mûr serait pour elle un père;Elle n’a pas connu l’oubli du premier mois,Et la lune de miel qui ne luit qu’une fois,Et son front et ses yeux ont gardé le mystèreDe ces chastes secrets qu’une femme doit taire.Heureuse comme avant, à son nouveau devoirElle a réglé sa vie… Il est beau de la voir,Libre de son ménage, un soir de la semaine,Sans toilette, en été, qui sort et se promèneEt s’asseoit à l’abri du soleil étouffant,Vers six heures, sur l’herbe, avec sa belle enfant.Ainsi passent ses jours depuis le premier âge,Comme des flots sans nom sous un ciel sans orage.D’un cours lent, uniforme et pourtant solennel;Car ils savent, qu’ils vont au rivage éternel.Et moi qui vois couler cette humble destinéeAu penchant du devoir doucement entraînée,Ces jours purs, transparents, calmes, silencieux,Qui consolent du bruit et reposent les yeux,Sans le vouloir, hélas! je retombe en tristesse;Je songe à mes longs jours passés avec vitesse.Turbulents, sans bonheur, perdus pour le devoir,Et je pense, ô mon Dieu! qu’il sera bientôt soir! {6}