Mon ami, vous voilà père d’un nouveau-né;C’est un garçon encor: le ciel vous l’a donnéBeau, frais, souriant d’aise à cette vie amère;A peine il a coûté quelque plainte à sa mère.Il est nuit; je vous vois… à doux bruit, le sommeilSur un sein blanc qui dort a pris l’enfant vermeil,Et vous, père, veillant contre la cheminée, Recueilli dans vous-même, et la tête inclinée,Vous vous tournez souvent pour revoir, ô douceur!Le nouveau-né, la mère et le frère et la sœurComme un pasteur joyeux de ses toisons nouvelles,Ou comme un maître, au soir, qui compte ses javelles.A cette heure si grave, en ce calme profond,Qui sait, hors vous, l’abîme où votre cœur se fond,Ami? qui sait vos pleurs, vos muettes caresses;Les trésors du génie épanchés en tendresses;L’aigle plus gémissant que la colombe au nid;Les torrents ruisselants du rocher de granit,Et, comme sous les feux d’un été de Norvège,Au penchant des glaciers mille fontes de neige?Vivez, soyez heureux, et chantez-nous un jourCes secrets plus qu’humains d’un ineffable amour! — Moi, pendant ce temps-là, je veille aussi, je veille,Non près des rideaux bleus de l’enfance vermeille,Près du lit nuptial arrosé de parfum,Mais près d’un froid grabat, sur le corps d’un défunt.C’est un voisin, vieillard goutteux, mort de la pierre;Ses nièces m’on requis, je veille à leur prière.Seul, je m’y suis assis dès neuf heures du soir.A la tête du lit une croix en bois noir,Avec un Christ en os, pose entre deux chandellesSur une chaise; auprès, le buis cher aux fidèlesTrempe dans une assiette, et je vois sous los drapsLe mort en long, pieds joints, et croisant les deux bras.Oh! si, du moins, ce mort m’avait durant sa vieEté longtemps connu! s’il me prenait envieDe baiser ce front jaune une dernière fois!En regardant toujours ces plis raides et droits,Si je voyais enfin remuer quelque chose,Bouger comme le pied d’un vivant qui repose,Et la flamme bleuir! si j’entendais crierLe bois du lit!.. ou bien si je pouvais prier!Mais rien: nul effroi saint; pas de souvenir tendre;Je regarde sans voir, j’écoute sans entendre,Chaque heure sonne lente, et lorsque, par trop lasDe ce calme abattant et de ces rêves plats,Pour respirer un peu je vais à la fenêtre(Car au ciel de minuit le croissant vient de naître),Voilà, soudain, qu’au toit lointain d’une maison,Non pas vers l’orient, s’embrase l’horizon,Et j’entends résonner, pour toute mélodie,Des aboiements de chiens hurlant dans l’incendie. {3}