Merci, ma fille ch'erie, de votre bonne lettre qui m’a fait grand plaisir. J’esp`ere que celle-ci t’arrivera `a point nomm'e pour te souhaiter la bienvenue `a Moscou. — Et moi aussi j’ai ressenti comme une f^acheuse privation ton absence de Moscou pendant les deux mois de s'ejour que j’y ai fait* et qui m’ont laiss'e un tr`es bon souvenir, un souvenir lumineux en d'epit du mauvais temps. J’y ai 'et'e t'emoin de quelque chose, `a quoi on ne saurait contester une signification historique. C’est l’accueil fait par l’opinion aux d'ep^eches du Pe Gortchakoff*. — C’est peut-^etre la toute premi`ere fois o`u la fibre nationale a vibr'e au contact de la diplomatie russe. Aussi les quelques lignes, que j’ai 'ecrites `a la h^ate sous le coup m^eme de l’impression*, ont-elles eu un sort tout particulier. — Comme s’'etait le premier bulletin de la victoire remport'ee, arriv'e de Moscou, elles ont 'et'e aussit^ot communiqu'ees en haut lieu, `a l’Imp'eratrice d’abord, qui avait, `a ce qu’il para^it, exprim'e des doutes sur l’impression que le ton g'en'eral des d'ep^eches produirait `a Moscou. — Puis la lettre ayant 'et'e lue par l’Empereur, celui-ci a dit qu’elle aurait d^u ^etre communiqu'ee `a Mlle Anna, pour l’amener `a des sentiments plus favorables au Vice-Chancelier. C’est le Pe Gortch lui-m^eme qui m’a cont'e cela. — Hier j’ai d^in'e chez lui `a Tsarsko"i'e et j’ai recueilli des d'etails tr`es curieux sur ce qui s’y est pass'e dans ces derniers temps, dans la question Constantin. — L’Empereur, au dire de tout le monde, s’est admirablement conduit dans toute cette affaire. Il a su concilier dans une mesure parfaite sa tendresse tr`es vive pour son fr`ere avec une fermet'e `a toute 'epreuve. Aussi on peut consid'erer le r`egne malencontreux de celui-ci comme fini*. C’est demain, le 27, qu’il quitte Varsovie, avec femme et enfants, et se dirige par Vienne et le Danube en Crim'ee. Tous ceux qui l’ont vu ici s’accordent `a dire qu’il faisait piti'e `a voir, tant il se sentait 'ecras'e par la d'efaveur publique. C’est demain aussi que partiront les r'eponses du Pe Gortchakoff, tr`es laconiques cette fois, et d'eclarant la question ferm'ee, sinon d'ecid'ee*. Elles ne tarderont pas `a para^itre dans les journaux. — L’Empereur s’en va le 31 en Finlande, o`u il fera le 3 septembre l’ouverture de la Di`ete*. Le 4 il assistera `a une grande f^ete que Mad Aurore* lui donne dans sa maison de campagne, pr`es d’Helsingfors; le 8 il sera de retour `a Tsarsko"i'e et quelques jours apr`es il part p Livadia. — Et ceci me ram`ene `a ce qui est l’objet de mes soucis non moins que des tiens, `a notre pauvre ch`ere Daria*. Assur'ement, une fois la cure finie, ce qu’elle aurait de mieux `a faire, c’est d’aller rejoindre l’Imp<'eratrice> en Crim'ee — si c’est pour y passer l’hiver, mais cent fois non si c’est pour en revenir au mois de novembre. Mais, alors, que doit-elle faire d’ici dans quelques semaines? O`u et comment passera-t-elle l’hiver? Je ne puis songer `a cette pauvre ch`ere fille non seulement sans tristesse, mais m^eme sans remords.