Que de tourments m’attendaient à mon retour! Votre silence, votre air froid, l’accueil de Mademoiselle Natalie si léger, si inattentif… je n’eus pas le courage de m’expliquer, j’allais à Pétersbourg la mort dans l’âme. Je sentais que j’avais joué un rôle bien ridicule, j’avais élé timide pour la première fois de ma vie et ce n’est pas la timidité qui dans un homme de mon âge puisse plaire à une jeune personne de l’âge de M-lle votre fille. Un de mes amis va à Moscou, m’en rapporte un mot de bienveillance qui me rend la vie, et maintenant que quelques paroles gracieuses que vous avez daigné m’adresser auraient dû me combler de joie — je suis plus malheureux que jamais. Je vais tâcher de m’expliquer.
L’habitude et une longue intimité pourraient seules me faire gagner l’affection de M-lle votre fille; je puis espérer me l’attacher à la longue, mais je n’ai rien pour lui plaire; si elle consent à me donner sa main, je n’y verrai que la preuve de la tranquille indifférence de son coeur. Mais entourée d’admiration, d’hommages, de séductions, cette tranquillité lui durera-t-elle? On lui dira qu’un malheureux sort l’a seul empêchée de former d’autres liens plus égaux, plus brillants, plus dignes d’elle, — peut-être ces propos seront-ils sincères, mais à coup sûr elle les croira tels. N’aura-t-elle pas des regrets? ne me regardera-t-elle pas comme un obstacle, comme un ravisseur frauduleux? ne me prendra-t-elle pas en aver-sion? Dieu m’est témoin que je suis prêt à mourir pour elle, mais devoir mourir pour la laisser veuve brillante et libre de choisir demain un nouveau mari — cette idée — c’est l’enfer.
Parlons de la fortune; j’en fais peu de cas. La mienne m’a suffi jusqu’à présent. Me suffira-t-elle marié? je ne souffrirai pour rien au monde que ma femme connût des privations, qu’elle ne fût pas là où elle est appelée à briller, à s’amuser. Elle a le droit de l’exiger. Pour la satisfaire je suis prêt à lui sacrifier tous les goûts, toutes les passions de ma vie, une existance toute libre et toute aventureuse. Toutefois ne murmurera-t-elle pas si sa position dans le monde ne sera pas aussi brillante qu’elle le mérite et que je l’aurais désiré?
Telles sont, en partie, mes anxiétés. Je tremble que vous ne les trouviez trop raisonnables. Il y en a une que je ne puis me résoudre à confier au papier…
Daignez agréer, Madame, l’hommage de mon entier dévouement et de ma haute considération.
Samedi.
A. Pouchkine. {68}
308. Н. О. и С. Л. ПУШКИНЫМ
6 — 11 апреля 1830 г.
Из Москвы в Петербург.
Mes très chers parents, je m’adresse à vous dans un moment qui va fixer mon sort pour le reste de ma vie.
Je veux me marier à une jeune personne que j’aime depuis un an — M-lle Natalie Gontcharof. J’ai son consentement, celui de sa mère. Je vous demande votre bénédiction non comme une vaine formalité, mais dans l’intime persuasion que cette bénédiction est nécessaire à mon bien-être — et puisse la dernière moitié de mon existence être pour vous plus consolante que ne le lut ma triste jeunesse.
La fortune de M-me Gontcharof étant très dérangée et dépendant en partie de celle de son beau-père, cet article est le seul obstacle qui s’oppose à mon bonheur. Je n’ai pas la force de songer à y renoncer. Il m’est bien plus aisé d’espérer que vous viendrez à mon secours. Je vous en conjure, écrivez-moi ce que vous pouvez faire pour… {69}
309. А. X. БЕНКЕНДОРФУ
16 апреля 1830 г.
Из Москвы в Петербург.
Mon Général,
Je suis tout embarrassé de m’adresser à l’Autorité dans une circonstance purement personnelle, mais ma position et l’intérêt que vous avez bien voulu me témoigner jusqu’à présent m’en font une obligation.