Personne ne me répond. Je me lève et gagne la porte au jugé. Depuis le couloir, je perçois des cris, des acclamations, un brouhaha confus. Me guidant au bruit, je pénètre dans une pièce tendue de soie noire où sévit un poste de télévision. Qu'aperçois-je sur le petit écran ? Le Président de la République Française.
Je me rappelle pour lors les paroles du Vieux nous recommandant de passer pour des Suisses afin de ne pas troubler le voyage présidentiel à Pékin. Un speaker jacte très vite et quelque part dans le salon, Ko Man Kélé traduit au fur et à mesure.
Je tourne la tête à droite (je pourrais aussi bien la tourner à gauche ne souffrant pas de torticolis et n'ayant aucune vertèbre de déplacée) et j'avise la grosse embaumeuse assise sur les genoux de Béru. Vision extrême-orientale s'il en fût ! C'est bouddha pelotant bouddhate. Le Gros a la main baladeuse et le bisou à répétition.
— Devant une foule immense évaluée à environ seize millions de personnes, traduit notre hôtesse, le président de la République Française monte à la tribune où il va prendre la parole en chinois !
— Ça ne m'étonne pas de lui, s'attendrit le Mastar, v'là un homme qu'est polygone, bien qu'il habite pas Vincennes !
Le président a gravi les degrés de la tribune et se met à faire dix heures dix avec les bras. On l'acclame derechef (d'État). Et alors le miracle se produit : il cause en chinois. La traductrice enchaîne dans la foulée : « Quand l'homme du dix-huit Brumaire vient à Pékin, c'est que le monde est en plein bouleversement »…
— Te casse pas la nénette, ma gosse, je connais la suite par cœur, assure le Gravos. J'ai été content de le revoir, mais maintenant tu peux z'éteindre biscotte je vais t'apprendre des trucs que ton vieux prof n'a sûrement pas été foutu de t'enseigner.
Il la fait basculer sur la natte à télévision (dans la pièce il n'y a ni natte à lit ni natte à chat) et l'entreprend dans un style époustouflant.
La pudeur m'inciterait à battre en retraite, mais, chose paradoxale, la discrétion me retient car maintenant que le bruit de la téloche a cessé, si je repartais j'attirerais leur attention. Or, rien n'est plus dangereux que de choquer des amoureux à la fleur de leurs ébats. On risque de leur provoquer un traumatisme dans le système tubo-recourbé et allées-et-venues capricieuses.
Sa Majesté qui a du talent, de l'ardeur et les moyens de l'exprimer, lui fait tout d'abord la perruque tournante, ensuite la mayonnaise ratée, le canoë fantôme, la chatte sur le toit brûlant, le délirium très mince, le même en plus gros, la farce de Maître tâtelard et puis, pour en terminer, le sabre et le goupillon, la calotte glaciaire, le trou normand et la crêpe dentelle. Beau programme, tous les initiés l'admettront, par initiés, j'entends les hommes qui, en dansant, parle à leur cavalière de choses qui le sont également et non de leur profession.
Je me trouvais, voici quelque temps, dans une manière de bal de sous-préfecture, avec des bonshommes fringués à la noces-et-banquets et des dames grassouillettes à étolles de renards désargentés. Je faisais relâche, regardant tournoyer ces couples de béhoefs et tendant l'oreille à leurs propos.
Dans des attitudes de valses viennoises, ils se roucoulaient des trucs qui semblaient sensuels, les mectons frappant le plancher de la pointe du nougat, à chaque tourbillon.
Vous savez ce qu'ils leur causaient, les Jules, à ces dames les emplumées ?
Un garagiste, en passant devant moi, il gazouillait, l'œil badigeonné au blanc d'œuf : « Il ne faut pas rester comme ça. Venez me la montrer, ça doit provenir du Delco, vous avez sûrement les vis platinées qui déconnent… »
Et puis arrivait un docteur, serrant sur son cœur une brassée de charcutière à motif imprimé : « Tous vos ennuis découlent de votre constipation chronique, ma bonne amie. »
— Vous croyez ? se pâmait l'autre, aux limites de l'extase. On la sentait vachement fière de sa constipation.
Ça défilait comme des figurines de boîte à musique devant moi. Trois petits tours et ils partaient, flirtant à leur façon, sur leurs longueurs d'ondes personnelles en restant dans le cadre de leurs métiers pour ne pas se perdre, pour ne pas glisser. Le notaire parlait de faire l'acte de chair sous sein privé, l'architecte promettait à sa partenaire de rectifier son siphon de vidange, et le boulanger chuchotait à la sienne qu'elle avait de belles baguettes, des miches de premier choix et que son rêve serait de lui faire une fournée d'honneur.
Mais revenons au Gros et à sa Fou Zi Toûnienne.
Ayant réalisé une belle performance, ils gisent, haletants, sur leur natte comme deux poulpes dans le fond d'une barquasse. Je tousse un peu pour me manifester.
— Bonne année à vous deux, lancé-je gaiement, joyeuses Pâques et que la fête continue !
Bérurier se redresse et me virgule un clin d’œil.