— Ils sont maigres comme des lévriers, remarque Béru, tu parles qu'ils doivent avoir la dent creuse qui les taquine. J'ai beau être du genre mahousse, y en n'aura pas pour tout le monde avec l'appétit que je leur devine. Ah ! y z'ont pas besoin de Quintonine, je te le dis… Leurs ratiches brillent comme des diams, c'est féérique !
— Pas le moment de tartiner dans le sublime, Gros, on n'est pas à l'Odéon.
La tranquillité de Sa Majesté, une fois encore ne se dément pas.
— En v'la un qui allonge mieux que les autres ! fait-il, c'est le Jazy du lot ! Il gagne vachement du terrain ! Oh ! Cette foulée, Monseigneur ! On lui voit les cerceaux ! T'es certain de ne pas pouvoir ajouter de la gomme ?
— Si j'en remets on risque d'emplâtrer un rocher et que la jeep s'asseye en tailleur !
— Allez coucher ! hurle le Mastar à l'adresse du vilain loup ! A la niche tout de suite ! Bon Dieu qu'il est grand, ceux du Zoo de Vincennes à côté de lui c'est des loulous de pommes et radis !
Béru saisit une pelle de camping et la brandit, prêt à affronter l'assaut du fauve.
Effectivement le loup, dans une détente prodigieuse, bondit à l'intérieur de la jeep. Floc ! D’un coup de pelle, le Gros lui fracasse la tête avant qu'ils aient eu le temps de faire plus ample connaissance.
Je sais pas si vous avez lu Jack London ? Moi si (et je l'ai même plagié quand j'étais môme, tellement je l'admirais). Si vous l'avez bouquiné vous devez savoir que les loups bouffent les cadavres de leurs congénères. Fort de cet enseignement, je crie à mon camarade de balancer la carcasse du loup mort hors de l'auto afin de freiner l'élan de la horde. Il obéit.
— Des clous ! désappointe-t-il. Ces carnes préfèrent se cogner du Bérurier sur canapé, tu penses !
Je traite
— J'ai aperçu un tuyau de caoutchouc tout à l'heure, dans la guinde, Gros. Plonge-le dans la réserve d'essence et laisse couler à l'extérieur.
— Pourquoi, tu penses qu'ils marchent au super ?
— Paraît qu'ils ont peur du feu !
— Vu !
Il s'active vilain cependant que je m'efforce d'accélérer encore. Béru aspire, suffoque, crache, fait des « bouha bouha » caverneux et oriente le jet d'essence brusquement obtenu hors de la jeep.
— Donne-moi une allumette ! demande-t-il.
Tenant mon volant d'une paluche, j'explore ma vague de l'autre. Je déniche une boîte d'alloufs, j'en extrais une, la gratte hâtivement et attends pour la donner à mon ami qu'elle soit bien prise.
Béru se penche et jette la petite flamme sur la traînée d'essence qu'il vient de tracer dans la caillasse.
Une gigantesque barrière de feu fulgure soudain dans le désert.
— Dix sur dix ! clame le Triomphant. Comment que ça leur a coupé la chique.
Il n'a pas le temps d'en dire davantage. Brusquement nous sommes environnés de feu.
Une détonation formidable retentit, qui fait faire une embardée à la jeep. Ça me précipite dans mon pare-brise.
Béru, quant à lui, est tombé de l'auto, soufflé par la déflagration.
Je perds les pédales, le moteur cale ! Je m'aperçois que je suis en flammes comme un baril de gnole dans lequel on vient de jeter un mégot.
Mes fringues crament mochement. Je me jette hors de la voiture afin de me rouler sur le sol. J'arrive à éteindre mon sinistre personnel avant que la viande se consume. Pour ne rien vous cacher, mes chéries, je suis plus brulé qu'un goret sur l'étal du charcutier. Du reste, bien qu'étant extrêmement soigné de ma personne, je renifle le cochon brûlé. J'ai eu chaud aux plumes, je n'ai plus de poils, plus de cils, plus de sourcils. Mes pognes sont noirâtres, mes vêtements noircis, déchiquetés me pendent des endosses comme les hardes d'un épouvantail. Je me mets à genoux pour regarder flamber la jeep et son contenu.
Ça donne un gigantesque brasier qui dégage une chaleur infernale. C'est beau. On voit brûler les banquettes, se tordre les tôles. Ça crépite. Ça illumine ! La carcasse de jeep est comme iliuminée. Elle rougeoie, orangeoie, jaunoie. Ça fait un bruit de pommes sur le feu et de pluie sur la braise.
— Béru ! appelé-je. Ou es-tu ?
— Par ici ! me répond l'organe du pyromane.
Je me relève, tout flageolant. D'un pas titubant je contourne le brasier pour rejoindre Sa Majesté.
Il est dans le même état que moi, le Chérubin. Il lui reste un morceau de pantalon pas fréquentable, et un lambeau de chemise par-dessus son merveilleux tricot de corps à grille. Il est noir comme un chaudron et encore plus roussi que moi.
— Tu parles d'un feu d'artifice ! bredouille-il en se palpant les cloques, j'ai cru que j'allais éternuer ma cervelle !
Je lui file un regard tellement méprisant qu'il achève de le brûler.
— Le monde est plein de patates, Béru, lui dis-je, mais des manches de ton espèce, je crois pourtant que c'est introuvable !
— J'ai oublié de relever le tuyau en jetant l'allumette, convient l'Effroyable. Je pensais pas que le feu allait remonter dans la nourrice…