Читаем Orchéron полностью

— Nous ne l’avons pas tué. Il est venu mourir devant nous, s’offrir à nous. »

Assis dans l’herbe encore gorgée d’humidité, Orchéron commençait à se détendre. Les permanents des domaines ne connaissaient pratiquement rien des ventresecs, qu’on n’invitait jamais aux banquets de fin de moisson ou de cueillette. Des rumeurs circulaient à leur propos, qui les dépeignaient tantôt comme des êtres futiles, parasites, paresseux, malveillants, tantôt comme des fanatiques qui interprétaient de manière totalement erronée les légendes de l’Estérion. On ne s’intéressait pas, par exemple, à la façon qu’ils avaient de prévenir les incursions des umbres, eux qui passaient toute leur vie dans les plaines du Triangle sans autre refuge que leurs précaires abris de peau.

« Comment… comment des femmes peuvent-elles décider que le temps est venu d’avoir un enfant ? demanda Orchéron.

— Nous apprenons très tôt à écouter nos corps, répondit Ezlinn. Nous pouvons être couvertes sans danger la plupart du temps. Mais, quelques jours par cycle, il nous faut nous abstenir ou bien trouver un reproducteur extérieur au clan. Et si possible un beau. »

Elle souligna son propos d’un regard égrillard qui le mit mal à l’aise et qui déclencha les rires des autres membres du clan. Certains d’entre eux, hommes ou femmes, n’avaient pas jugé nécessaire de se rhabiller à l’issue de leur baignade dans la mare. Des gouttes d’eau scintillaient sur leurs corps bruns, maigres pour la plupart.

« Où vous réfugiez-vous pendant l’amaya de glace ?

— Les plaines offrent de multiples ressources à qui les connaît, dit Ezlinn. On trouve sous les herbes une infinité de grottes et de sources d’eau chaude. Nos mères ventresecs n’ont jamais manqué du nécessaire, ni dans l’arche, ni sur l’ancien monde ni sur le nouveau. Même lorsque les Kroptes leur ont crevé les yeux.

— Pourquoi vous êtes-vous engagés sur le chemin des ventresecs ? »

Ezlinn posa son morceau de viande sur le sol, se rapprocha de lui, lui plaqua sa main sur le sommet du crâne, lui enfonça ses doigts dans les cheveux et, d’un mouvement pivotant du poignet, le contraignit à regarder dans toutes les directions.

« Qu’est-ce que tu vois autour de toi ?

— L’herbe jaune de la plaine, répondit-il après un instant d’hésitation.

— Pour les permanents des domaines, cette herbe est synonyme de terres à défricher, à conquérir, mais elle a pour nous la couleur et l’odeur de la liberté. Les mathelles ont délimité leurs territoires, nos territoires à nous n’ont ni limites ni frontières.

— Des ventresecs se présentaient pourtant au domaine de ma mère Orchale pour y travailler… »

Elle se pencha sur lui tout en lui maintenant sa main plaquée sur la tête. Il respira une bouffée de son odeur, âpre, musquée, imprégnée d’essences végétales.

« Parfois c’est pour nous une solution de facilité que de louer nos bras aux domaines, dit-elle d’une voix basse vibrante. Mais nous ne sacrifions pas pour autant notre liberté. Et puis cela permet à nos femmes de faire des rencontres. À nos hommes également : tu serais surpris par le nombre de mathelles ou de permanentes qui invitent les errants dans leur chambre. Comme nos ancêtres, nous sommes les indispensables souffles d’air dans les espaces confinés. »

Les cris et les rires des enfants qui s’éclaboussaient dans la mare dominaient par instants le friselis persistant des herbes. Bien que Jael fût encore haut dans le ciel, des courants frais se faufilaient dans la tiédeur mollissante du jour et la chaleur radiante des braises. Venus des cimes de l’Agauer, des vents de plus en plus froids balaieraient le Triangle jusqu’aux premières averses de cristaux de glace.

Ezlinn lâcha Orchéron et revint s’asseoir à sa place. Les autres le regardaient comme un animal curieux, les femmes surtout, intriguées ou attirées par son physique imposant. Il remarqua alors qu’il n’y avait pas d’anciens parmi eux, que les plus âgés n’avaient sans doute pas dépassé les cent ans.

Il ressentit soudain dans la poitrine une infime piqûre, comme une épingle de corne lui perforant le cœur. Il s’agrippa aux herbes, à la terre, pour contenir ses tremblements et ne pas basculer en arrière. La douleur se propagea rapidement vers son bassin et son crâne, s’enroula comme une plante vénéneuse autour de ses membres, autour de ses os. En lui monta une colère noire, terrible, une envie terrifiante d’éteindre chaque étincelle de vie sur ce monde, de répandre le néant autour de lui. Il plongea la main dans la poche de son pantalon et empoigna le manche de son couteau de corne.

« Qu’est-ce qui se passe ? Tu es devenu tout… » Il interrompit Ezlinn d’un regard à la fois autoritaire et implorant.

« Une crise. Éloignez-vous vite… par pitié… »

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