Il n’est pas de dandy citadin capable de rivaliser avec un gandin sorti de la campagne – j’entends un vrai rustre du dandysme – un gars qui, en pleine canicule, fauchera ses deux acres les mains gantées de daim de crainte qu’elles ne se tannent. Eh bien, quand un dandy de cette trempe s’est mis dans l’idée de se tailler une réputation à sa hauteur, et cherche à s’embarquer pour la pêche à la baleine, vous devriez voir à quelles cocasseries il s’adonne en arrivant au port. En commandant l’habit qu’il portera en mer, il réclame des boutons d’uniforme d’apparat pour sa vareuse, des bretelles pour ses pantalons de toile. Ah! pauvre rustaud! combien cruellement, au premier hurlement de la tempête, vont s’envoler ces ornements tandis que vous serez précipités, bretelles, boutons et tout, droit au fond du gosier de la tempête. Mais n’allez pas croire que cette ville fameuse ne peut montrer à ses hôtes que des harponneurs, des cannibales et des blancs-becs. Pas du tout. Pourtant, New Bedford est un lieu insolite. Mais sans nous autres baleiniers, cette région serait peut-être encore maintenant, telles les côtes du Labrador, le seul domaine du vent. Son arrière-pays est assez rocailleux pour effrayer encore son monde. Mais la ville est peut-être l’endroit où la vie est la plus chère de toute la Nouvelle-Angleterre. C ’est bien une terre grasse, certes, mais non à la façon de Canaan, une terre de blé et de vin. Le lait ne ruisselle pas dans les rues, et le printemps ne les pave pas d’œufs frais. Pourtant, malgré cela, nulle part ailleurs en Amérique, vous ne trouverez autant de maisons patriciennes, des parcs et des jardins plus somptueux qu’à New Bedford. D’où viennent-ils et comment poussèrent-ils sur la scorie de cette terre maigre?
Allez faire un tour et regardez bien, autour de ces hautaines demeures, se dresser l’emblème des harpons de fer, c’est la réponse à votre question. Ces jardins en fleurs et ces pimpantes maisons sortent tout droit des océans Atlantique, Pacifique et Indien. Toutes ces demeures ont été prises au harpon et arrachées au fond des mers. Herr Alexandre lui-même aurait-il pu accomplir pareil tour de prestidigitation?
À New Bedford, dit-on, les pères dotent leurs filles avec des baleines et pourvoient leurs nièces grâce à quelques marsouins. Si vous voulez voir un beau mariage, c’est à New Bedford qu’il faut aller, car on raconte que les maisons ont des réserves d’huile inépuisables et que chaque nuit on y brûle avec insouciance des bougies de blanc de baleine tout entières.
L’été, la ville est exquise à voir, des érables sans nombre bordent de vert et d’or les longues avenues. Et en août, les beaux marronniers altiers et munificents, tels des candélabres, offrent au passant les cierges dressés de leurs bouquets en touffes. La toute-puissance de l’art est telle qu’en plus d’un quartier de New Bedford il a transformé en éclatantes terrasses fleuries les rochers nus, déchets inutiles rejetés au dernier jour de la création.
Les femmes de New Bedford, elles, fleurissent à l’égal de leurs propres roses rouges. Mais tandis que les roses ne s’épanouissent qu’en été, le délicat incarnat de leurs joues est éternel comme la lumière du septième ciel. Vous ne trouveriez nulle part ailleurs pareille splendeur, sauf peut-être à Salem, où les jeunes filles, dit-on, répandent un parfum si musqué que leurs amoureux marins le reconnaissent à des milles de la côte, comme s’ils approchaient des odorantes Moluques bien plutôt que des sables puritains.
CHAPITRE VII
C’est à New Bedford aussi que se trouve une chapelle des baleiniers. De tous les pêcheurs ombrageux, sur le point de partir vers l’océan Indien ou vers le Pacifique, rares sont ceux qui n’y font pas leur visite dominicale. Je n’ai pas fait exception.
À peine rentré de ma promenade matinale, je ressortis dans cette intention. Le temps, froid et ensoleillé, s’était mis à la neige et au brouillard. Serrant ma veste poilue, de ce tissu dit peau d’ours, je fonçai tête baissée dans la tempête inexorable. Quelques groupes épars de marins, de femmes et de veuves de marins y étaient déjà réunis quand j’entrai. Le silence ouaté n’y était brisé parfois que par les sifflements du vent. Chaque fidèle paraissait s’être volontairement assis loin l’un de l’autre, comme si chaque douleur silencieuse était une île inapprochable. Le pasteur n’était pas encore arrivé, et ces îlots muets d’hommes et de femmes attendaient en fixant des yeux les plaques de marbre, bordées de noir, encastrées dans le mur de part et d’autre de la chaire. Trois d’entre elles disaient à peu près ceci, mais je ne prétends pas citer:
À la mémoire de
JOHN TALBOT
Perdu en mer à l’âge de dix-huit ans
près de l’île de la Désolation, au large de la Patagonie
1er novembre 1836
Cette plaque est érigée à sa mémoire par sa sœur.
À la mémoire de
ROBERT LONG, WILLIS ELLERY, NATHAN COLEMAN, WALTER CANNY, SETH MACY, ET SAMUEL GLEIG
de l’équipage de L’