Le retour périodique du cachalot dans certaines eaux est un fait si indubitable que de nombreux chasseurs pensent que si l’on pouvait l’observer et l’étudier de près dans toutes les mers du globe, si l’on pouvait confronter les livres de bord d’un seul voyage de toute la flotte baleinière, on verrait les migrations du cachalot se révéler aussi immuables que celles des bancs de harengs ou des vols d’hirondelles. Sur cette base, on a déjà tenté de dresser des cartes détaillées des migrations du cachalot [7].
De plus, les cachalots suivent des veines, comme on les appelle, lorsqu’ils vont d’un territoire alimentaire à l’autre, guidés par quelque infaillible instinct – disons plutôt par l’intelligence secrète de la divinité – et ils tracent leur route selon une ligne droite qu’aucune carte ne permettrait à un navire de suivre avec le dixième de leur admirable précision. Bien que le trajet adopté par un cétacé ait la rigueur d’un tracé d’arpenteur, qu’il s’y conforme inéluctablement, la veine arbitraire dans laquelle il évolue, a généralement quelques milles de largeur, plus ou moins selon qu’elle s’élargit ou se rétrécit, mais elle ne s’étend jamais au-delà du champ de vision des hommes en vigie au grand mât du navire, lorsqu’il glisse avec circonspection sur cette voie magique. En conséquence, si l’on emprunte ce chemin aux saisons adéquates, on peut avoir l’assurance d’y rencontrer des cétacés en migration.
Ainsi Achab pouvait espérer trouver sa proie, non seulement grâce au juste choix de l’époque et du lieu de séjour du cachalot en des territoires alimentaires déterminés mais il pouvait même espérer l’y croiser, grâce à la subtilité de ses calculs, en traversant les vastes étendues qui séparaient ces zones.
Un fait semblait de prime abord devoir entraver son projet délirant mais toutefois méthodique. Bien que les cachalots soient grégaires et hantent des régions déterminées à des saisons régulières, on ne peut guère en conclure que la bande qui s’y trouvera cette année sous telle latitude et telle longitude sera formée des mêmes individus que l’année précédente, bien que des exemples indubitables appuient la vérité du contraire. Cela est généralement valable, de façon plus restreinte, pour les vieux cachalots qui vivent en solitaires.
De sorte que Moby Dick ayant, par exemple, été vu antérieurement dans ce qui s’appelle le territoire des Seychelles, dans l’océan Indien, ou dans la baie des Volcans au Japon, il ne s’ensuivait pas nécessairement que si le