Merde alors ! Ils nous canardent au canon de 37. Une rafale de mitrailleuse transforme en passoire la cabine du premier camion. Heureusement ses occupants l’ont déjà abandonné. Le conducteur a dû avoir une suée froide.
L’ennemi se tapit au travers des dénivellations de terrain et est difficile à repérer. Toutefois, les hommes du steiner savent à quoi s’en tenir sur la pièce de 37 à peine dissimulée derrière les arbres à droite du tournant. Les partisans ont abattu un arbre en travers de la route, juste après le virage. C’est miracle qu’ils n’aient pas ouvert le feu au moment où le steiner s’est présenté.
Deux mortiers légers sont mis en batterie et leurs torpilles tombent à un rythme rapide sur la position d’artillerie ennemie qui est vite réduite au silence.
— Des amateurs, pense Wesreidau.
Une douzaine de F.M. ont pris position et rendent délicate la situation des tireurs partisans accrochés à la montagne. Notre groupe glisse parmi les buissons et escalade les premiers blocs de pierre. Les mortiers font pleuvoir une grêle de projectiles plus affolante que destructive sur les points d’où semble venir une opposition. Nous venons de déceler un poste ennemi. Ce sont vraiment des débutants de la dernière heure qui vont chasser le fritz pour faire bien et mériter de la patrie.
— Bande de cons, murmurent Prinz et Smellens qui sont à mes côtés. Venir faire « pan, pan » comme ça pour le plaisir ! Je vais leur en foutre.
Le groupe attaque le poste au lance-grenades. Les explosions font grand vacarme dans cet encaissement de terrain. Puis le spandau d’un camarade balaie de son tir – reconnaissable tant il est rapide – le bord de l’embuscade ennemie. Encore deux grenades, et les apprentis francs-tireurs qui n’ont pas encore réagi crient leur panique. Une silhouette bondit du repaire et tente une fuite désespérée. Comme il n’y a aucune possibilité, elle est rejointe par le tir du spandau qui la perfore sans doute une bonne douzaine de fois.
— Quel con ! crie Prinz. Faut-il être con ! C’est misère de dégringoler des types pareils. Peuvent pas rester chez eux, en attendant que la guerre finisse, bon Dieu ! Je ne me ferais pas prier à leur place. Pas vrai, Sajer ?
À la maison ! l’idée tourne dans ma tête comme une buée d’alcool. À la maison, en attendant que la guerre finisse…
— Oh oui ! répondis-je enfin à Prinz.
— C’est vrai, ça, reprit-il, et nous sommes obligés de les descendre. C’est dégueulasse.
Des cris plaintifs montaient du retranchement ennemi. À gauche, les spandaus et les lance-grenades bouleversaient la tranquillité du beau printemps. Brusquement, un des jeunots, dans un excès de zèle, se dressa à mi-corps au-dessus du parapet et distribua une rafale de mitraillette rageuse à notre égard. Son tir approximatif blessa tout de même un des nôtres d’une balle dans la main droite et une autre, sans doute par ricochet, dans le mollet. Le forcené eut la poitrine labourée par le spandau du groupe tandis que notre blessé commençait à grimacer dans son coin d’ombre.
— Merde de merde, lança quelqu’un, allez-vous cesser cette connerie ?
Deux silhouettes émergèrent, sans précipitation apparente, et tentèrent une fuite. Le F.M. les envoya à leur tour rouler dans la poussière.
— Dis donc, murmura Smellens au mitrailleur, c’est un jupon que tu viens d’expédier dans le Paradis de Joseph.
— Un jupon, fit encore l’autre. Tu es sûr ? Si les bonnes femmes s’en mêlent aussi, c’est le comble.
Quelques minutes plus tard, nous pouvions effectivement dénombrer six cadavres de partisans tombés autour de la position. Six cadavres de jeunes gens de notre âge. Parmi ceux-ci, deux filles assez jolies baignaient au milieu de leur sang, entourées d’un essaim de mouches bleues et vertes.
Nous jetâmes un coup d’œil dégoûté vers nos victimes. Pourquoi étaient-elles venues se mettre en travers de notre route de malheur ? Le barrage de débutants fut rapidement démantelé. Le groupe dégagea la route et progressa vers le village au pas des landser. Les véhicules suivaient lentement à l’arrière.
L’ennemi fut-il mal informé ? Eut-il des renseignements exagérés sur notre petit effectif ? Eut-il peur ? Toujours est-il qu’il lâcha prise autour du poste à demi investi pour s’opposer à notre approche.