Surtout : il avait cru se battre pour quelque chose, pour de grandes choses, et on lui apprenait qu’il s’était battu pour rien, que ses camarades étaient morts pour rien – pire : pour une entreprise que la conscience mondiale condamnait. Lui, il ne comprenait pas. Et il voyait que personne ne pouvait le comprendre, ni même l’entendre. Il était seul avec son histoire.
En 1952, au cours d’une maladie, sur un cahier d’écolier, il a commencé d’écrire l’histoire vraie de ce garçon, qui… Jour après jour, remettant les pas dans ses pas, revivant tout. Au bout de cinq ans, cela a fait dix-sept cahiers, écrits au crayon, illustrés de dessins précis comme des planches d’anatomie – pour ne rien oublier. Dix-sept cahiers qu’il traînait partout avec lui, avec, parfois, une furieuse envie de les détruire. Des amis les ont lus, en ont fait paraître des fragments dans un magazine belge. Un jour, ils nous sont parvenus. Les voici.
L’écriture pourra surprendre. Assurément, elle n’est pas celle d’un écrivain de métier ; simplement celle d’un homme qui, avec ses mots à lui, ses images à lui, parfois maladroitement, souvent avec éclat et toujours avec force, essaie de dire ce qui, jamais encore, n’avait été dit.
PROLOGUE
18 juillet 1942. J’arrive à Chemnitz dans une formidable caserne en forme de cirque, toute blanche. J’en suis très impressionné, un mélange de crainte et d’admiration. Sur ma demande, je suis affecté à la 26e section de l’escadre « Sturm-kampflugzeug Kommandant Rudel ». Je suis, hélas ! refoulé à la suite des tests de la Luftwaffe ; néanmoins, les quelques moments passés à bord des JU‑87 demeureront comme de merveilleux souvenirs. Nous vivons avec une intensité que je n’ai jamais ressentie auparavant. Chaque jour amène du nouveau. J’ai un uniforme tout neuf et à ma taille, une paire de bottes moins neuves, mais en très bon état. Je suis très fier de ma tenue. La nourriture est bonne. J’apprends aussi quelques chansons militaires que je fredonne avec un horrible accent français. Les autres soldats rient, ils sont destinés à être mes premiers camarades en ce lieu.
L’entraînement de l’infanterie, dans laquelle j’ai été versé, est moins drôle que la vie d’aviateur. Le parcours du combattant est la chose la plus dure que j’aie connue jusqu’à présent ; je suis exténué ; à plusieurs reprises, je m’endors à la cantine. Mais je me porte à ravir, et une joie que je ne comprends pas, surtout à la suite de tant d’appréhensions, est en moi.
Le 15 septembre, nous quittons Chemnitz et ses environs. Nous nous rendons à pied à Dresden – 40 kilomètres – où nous embarquons dans un train en direction de l’est.
Nous traversons une bonne partie de la Pologne. À Varsovie, nous nous arrêtons quelques heures. Avec mon détachement, je visite la ville, notamment le fameux ghetto, ou plutôt ce qu’il en reste. Nous regagnons la gare en rompant les rangs. Nous avons tous des visages souriants. Les Polonais nous sourient aussi, les jeunes filles surtout ; quelques soldats plus âgés et plus hardis que moi se font raccompagner très aimablement jusqu’au train, qui s’ébranle à nouveau et s’arrête définitivement à Brest-Litovsk.