Konotop fut atteint le deuxième jour, alors qu’un infernal grouillement de troupes parcourait la ville en tous sens à la recherche du moindre moyen de transport. Notre groupe « Gross Deutschland » se porta alors à l’est, ou plutôt au sud-est, au-devant d’une puissante armée bolchevik. Nous avions été réapprovisionnés en partie dans cette ville sous les yeux ahuris des officiers d’intendance qui durent nous donner même le carburant qu’ils gardaient pour leurs voitures personnelles. Nous entrâmes en contact avec les éléments avancés des rouges vingt minutes après avoir quitté Konotop. Nous fûmes surpris de rencontrer l’ennemi si tôt alors que, dans la ville, les troupes perdaient du temps pour récupérer des bicyclettes. Les chars engagèrent un bref combat puis décrochèrent sur ordre.
Nous roulâmes presque toute la journée pour atteindre un point où sans doute nous devions trouver de quoi continuer notre équipée. Nous l’atteignîmes quelques minutes avant que les gars du génie ne dynamitent l’ensemble. Un énorme silo, plein de conserves, boissons et nourritures de toutes sortes, allait être, d’un instant à l’autre, la proie des flammes. Nous remplîmes nos poches et les moindres recoins de nos véhicules de tout ce qu’il était possible d’emmener. Il resta encore de quoi nourrir la division pendant plusieurs jours. Et le feu s’alimenta de ces précieuses denrées qui faisaient tellement défaut par ailleurs.
Halls assista à l’effondrement du silo, la larme à l’œil, tout en ingurgitant le maximum. Toute la compagnie et beaucoup d’autres déplorèrent cet incident, tout en tirant des bouffées sur les cigares que nous avions trouvés à foison. Nous bénéficiâmes de cinq ou six heures de repos, puis le corps blindé retourna au feu. Entre-temps, les rouges étaient entrés à Konotop et l’infanterie allemande livrait une rude bataille en retrait de la ville.
Notre coin ardent entra violemment dans l’aile sud de l’offensive russe. Les chars nous ouvrirent une fois de plus un passage parmi la réserve ennemie. Celle-ci s’éparpilla avant que nous n’ayons pu mettre en batterie. Mais à la nuit, les Russes, s’étant détournés de la ville, concentrèrent sur nous leurs efforts. Nos chars firent demi-tour, laissant une demi-douzaine des leurs, illuminer la nuit de leur incendie. Toutes les armes transportées furent mises en batterie. Je vis pour la première fois rugir le fameux lance-fusées dont j’ai parlé plus haut.
Sous les ordres du capitaine Wesreidau, notre compagnie fut engagée, avec deux autres, à la protection de l’aile gauche du détachement blindé. Une partie des camarades partirent chargés sur les plates-formes motorisées des geschnauz. Le reste suivit, de près ou de loin, les engins qui avançaient au pas des hommes à pied. C’est bizarre comme la seule idée d’avoir repris l’initiative peut mener les hommes au-devant d’un danger souvent beaucoup plus fort qu’eux. La marche de nos Panzers avait été si irrésistible, ces deux derniers jours, que tout nous apparaissait accessible. À travers la nuit relativement fraîche, nos trois compagnies, en groupes de trente, s’avancèrent parmi les bosquets rabougris qui couvraient la plaine à cet endroit. Pas très loin, à l’unisson, le rugissement de nos moteurs envahissait l’atmosphère et apportait une note rassurante à notre opération. Sans doute l’effet fut-il inverse sur les groupes soviétiques chargés de nous intercepter. De temps à autre, quelques coups de feu claquaient, sans doute sur des formes fuyant dans l’ombre. Nous avançâmes ainsi sur au moins deux kilomètres. Brusquement, des fusées éclairantes grimpèrent vers le ciel et jetèrent leur lumière blafarde sur le sol. Tout le monde, c’est-à-dire huit cents ou neuf cents bonshommes, plongea d’un même mouvement. Des éclats lumineux brillèrent, singulièrement sur l’acier des casques, que l’on avait pourtant tenté de rendre mats. En un rien de temps, les mitrailleuses motorisées étaient rentrées dans les zones broussailleuses et leurs tubes redoutables devaient tourner silencieusement à la recherche d’une silhouette mobile. Nous nous attendions à voir pleuvoir les projectiles des lance-bombes russes et chacun retrouvait instantanément la sale crispation des mauvais moments. Deux fusées violettes allemandes grimpèrent dans le ciel noir.