Le capitaine s’arrêta à la distance convenable, fit lentement demi-tour et salua le drapeau. On nous commanda le « présentez armes ! »
— Repos, fit posément le géant en se retournant vers nous.
— Feldwebel, vous ne ferez que m’accompagner aujourd’hui. Pour faire honneur à la nouvelle section, c’est moi qui lui commanderai l’exercice.
Il changea légèrement de position, regarda un instant le sol déjà illuminé de soleil. Puis redressa violemment la tête :
— Garde-à-vous !
Nous nous exécutâmes au centième de seconde.
— Très bien, fit-il, doucereux. (Et il s’avança nonchalamment vers le premier rang.) Messieurs… j’ai l’impression que vous avez choisi un peu trop tôt votre carrière de fantassin, vous ignorez sans doute qu’ici, dans l’infanterie spécialisée, il n’y a aucun rapport avec ce que vous avez connu dans les services auxiliaires que vous avez volontairement quittés. Aucun d’entre vous ne semble apparemment constitué pour cette tâche. J’espère que je me trompe et que vous allez me prouver le contraire. J’espère que vous ne m’obligerez pas à vous expédier dans une unité de discipline pour vous apprendre à vous être trompés dans votre jugement. (Nous écoutions, impressionnés, la tête vide.)
— La tâche, que vous aurez tous à assumer tôt ou tard, demande davantage que vous ne l’avez certainement supposé. Il ne s’agit plus de savoir simplement manier une arme et d’avoir bon moral : il faut beaucoup, beaucoup de courage, du cran, de la persévérance, de l’endurance, de la résistance à n’importe quelle situation. Nous avons droit, nous autres de la « Gross Deutschland », au rapport officiel publié dans tout le Reich, et cela n’est pas attribué à tout le monde. Pour y faire honneur, il nous faut des hommes et non des têtes de croque-morts comme vous. Je vous préviens, ici, tout est difficile, rien n’est pardonné et chacun doit avoir des réflexes en conséquence.
Nous ne savions plus quelle gueule faire.
—
Sans réfléchir un instant, nous étions tous allongés sur le sol sablonneux. Alors le capitaine Fink s’avança, comme un promeneur sur une plage, et marcha sur le sol humain. Tout en continuant son petit discours, ses bottes, chargées d’au moins ses cent vingt kilos, foulaient les corps paralysés de terreur de notre section. Les talons de l’officier s’appliquaient posément sur un dos, une fesse, un casque, une main, et personne ne bronchait.
— Aujourd’hui, poursuivait-il ainsi, je vais vous accompagner dans une petite promenade et je jugerai de vos aptitudes.
Puis il fit faire un groupe de cent et un autre de cinquante.
— Aujourd’hui, messieurs, fit-il poliment en s’adressant au groupe des cinquante dont ni Halls ni moi ne faisions partie, vous avez le privilège d’être des blessés supposés. Demain ce sera à vous de vous occuper de vos camarades. Section de blessés.
Halls et moi nous chargeâmes à la façon de la petite chaise un gars crispé d’au moins quatre-vingts kilos. Puis le capitaine Fink nous guida vers la sortie. Nous marchâmes ainsi jusqu’à un petit vallonnement qui nous semblait éloigné d’un kilomètre. Nous commencions à avoir les bras sciés par le copain qui se faisait peu à peu à cette situation. Arrivés en haut du petit mamelon, il nous fallut redescendre de l’autre côté. Nos bottes crissaient et butaient cette fois sur la descente assez raide. Quand allait se terminer ce petit jeu ? pensions-nous. La chaleur était arrivée et nous ruisselions de sueur sous nos tenues. Quelques types épuisés lâchaient prise et laissaient, pour une seconde, choir la prétendue victime. Chaque fois, Fink, aidé de son feld, faisait sortir des rangs le groupe affaibli et le divisait en une corvée encore plus rude : un homme seul en portait un autre sur son dos. Au bas de la pente je sentis que ça allait être mon tour.
— Je n’en peux plus, Halls, mes poignets me font mal, je vais lâcher, murmurai-je.