Des pendules, des carillons, des sabliers étaient disposés sur les structures. Je m’approchai des objets. Je n’y connaissais rien mais je distinguai, à vue de nez, plusieurs époques — des cadrans solaires antiques, des sabliers du Moyen Âge, des horloges aux rouages apparents, des cercles dorés, soutenus par des angelots, déclinant les périodes de la Renaissance, de l’Âge classique ou du siècle des Lumières. Il y avait aussi une vitrine de montres à gousset, variant les motifs et les matériaux : argent ciselé, zinc patiné, émail coloré… Pas un tic-tac, pas un cliquetis ne résonnait.
Comme partout à Sartuis, le temps ici s’était arrêté. Je traversai la pièce et m’approchai du pupitre de travail, face à la baie. Les instruments de précision y étaient encore disposés, comme si Sylvie venait juste d’achever un réglage. Des soufflets, des pinces, des pointes si fines qu’on songeait à un nécessaire de microchirurgie, le posai la main sur le dossier de cuir du tabouret. J’imaginais Sylvie, penchée sur ses rouages, triturant les mailles du temps, alors que le soleil se levait.
Je retournai dans le couloir et ouvris la première porte. Une salle à manger, décorée à l’ancienne. Meubles massifs, table ronde, couverte par une nappe blanche, parquets cirés. Qui payait pour l’entretien de la maison ? À qui revenaient tous ces biens ? Je me demandai si Sylvie Simonis possédait encore une famille lointaine. Ou si c’était sa belle-famille honnie qui allait hériter.
J’activai l’interrupteur mural. La lumière jaillit. Par réflexe, je jetai un regard aux volets clos : aucun risque qu’on m’aperçoive du dehors. Je fouillai chaque meuble — en pure perte. Services de table, couverts, nappes, serviettes. Pas un seul objet personnel. J’éteignis et abandonnai cette pièce.
La deuxième porte donnait sur la cuisine. Même place nette, même neutralité. Carrelage éclatant, vaisselle immaculée. Les hauts placards en bois étaient remplis d’ustensiles de cuisine, d’engins électroménagers derniers cri. Pas une photo sur les murs, pas un pense-bête sur le frigo. On se serait cru dans un meublé à louer.
Je revins sur mes pas et attaquai l’escalier. En haut, la passerelle desservait deux chambres, entièrement vides. La troisième était celle de Sylvie, je le devinais. Des meubles jurassiens, briqués et sombres. Au sol, un parquet nu, sans tapis. Sur les murs, du crépi. Quant au lit, un châssis de chêne, privé de matelas et d’édredon. J’ouvris les tiroirs, les armoires. Vides. On avait ratissé les lieux. Les gendarmes ? Les légataires de la maison ?
Coup d’œil à ma montre : 19 h 10. Plus d’une demi-heure que je rôdais ici sans le moindre résultat. Au bout de la coursive, je repérai un nouvel escalier, abrupt et étroit. Je grimpai à la verticale jusqu’au grenier aménagé, dont le plafond mansardé était tapissé de laine de verre. Deux vasistas perçaient la pente. Je ne pouvais pas allumer ici mais j’y voyais suffisamment.
Ce devait être le bureau de Sylvie. Au sol, une moquette de couleur écrue. Aux murs, des panneaux de tissu clair. Le mobilier se résumait à une planche posée sur deux tréteaux, des meubles-classeurs, une armoire. J’ouvris les rangements. Vides. Des meubles qui devaient avoir abrité toute la comptabilité de Sylvie, ses papiers administratifs, mais qui avaient été nettoyés.
Malgré le froid, la chaleur de mon corps ne cessait de monter. Mon manteau pesait des tonnes, ma chemise collait à ma peau. Quelque chose me retenait encore. Je sentais qu’il y avait un truc à trouver dans cette maison. Une planque où Sylvie avait conservé tout ce qui concernait la mort de sa petite fille.
Une idée.
Je redescendis dans le séjour et ouvris, avec précaution, les vitrines. Les horloges. Les socles. Les boîtiers. Des recoins et profondeurs pour dissimuler un secret. Je manipulai les pendules, les soulevant, les secouant, ouvrant leurs entrailles. À la cinquième, je trouvai un tiroir encastré dans la base. Je l’ouvris et n’en crus pas mes yeux : une cassette audio. Je songeai aux enregistrements des appels téléphoniques du tueur. Je saisis ma trouvaille et reposai l’horloge. Une première prise. D’autres objets devaient contenir d’autres indices…
Le canon d’une arme se planta dans ma nuque.
— Ne bougez pas.
Je me figeai.
— Tournez-vous lentement et mettez vos mains sur la table.
Je reconnus l’élocution. Stéphane Sarrazin.
— Je pensais qu’on s’était mis d’accord, vous et moi.
Je pivotai de trente degrés et plaquai mes deux mains sur le pupitre de travail. Le gendarme se livra à une fouille rapide, attrapant mon automatique, palpant mes poches.
— Tournez-vous. Face à moi.
Ses cheveux noirs se découpaient, très nets sur son front. Ses yeux rapprochés traçaient avec l’arête du nez une croix, ou un poignard sombre. Il ressemblait à Diabolik, un héros de bande dessinée italienne des années soixante. Il tenait maintenant un automatique dans chaque main.
— Violation de domicile. Destruction d’indices. Vous êtes mal parti.