Le cadavre de la femme découvert avant-hier matin sur le plateau du parc naturel de Notre-Dame-de-Bienfaisance a été identifié. En réalité, les pompiers chargés de transporter le corps l’avaient déjà reconnu sur place. Il s’agit de Sylvie Simonis, 42 ans, artisan horlogère à Sartuis.
Ce nom, pour tous les habitants du haut Doubs, rappelle de funestes souvenirs. Sylvie Simonis n’est autre que la mère de la petite Manon, 8 ans, assassinée en novembre 88. Une sinistre affaire qui n’avait jamais été résolue. L’annonce de cette nouvelle mort et les circonstances mystérieuses qui l’entourent réveillent toutes les craintes. Et toutes les questions.
D’abord, impossible de préciser la cause du décès ni les raisons de la présence du corps sur le terrain de l’ancien monastère. Accident ? Meurtre ? Suicide ? Selon les premiers témoignages, l’état du cadavre ne permet pas de se prononcer et les résultats de l’autopsie, effectuée à l’hôpital Jean-Minjoz, à Besançon, ne sont pas encore connus.
De source sûre, on sait que Sylvie Simonis, virtuose horlogère qui travaillait à son compte pour les ateliers prestigieux du Locle, en Suisse, avait disparu depuis une semaine. Personne ne s’en était formalisé. Femme discrète, pour ne pas dire secrète, Sylvie Simonis effectuait régulièrement la navette entre la Suisse et la France, et demeurait parfois plusieurs semaines dans sa maison de Sartuis sans donner de signe de vie, à assembler ses montres et ses horloges.
S’il s’agit d’une affaire criminelle, existe-t-il un lien entre ce meurtre et celui de Manon, en 1988 ? Il est trop tôt pour avancer la moindre hypothèse, mais à Sartuis, et même à Besançon, les rumeurs vont déjà bon train…
De leur côté, le Service de Recherche de la gendarmerie de Sartuis, ainsi que la magistrate mandatée par le tribunal de Besançon, Corine Magnan, semblent décidés à observer la discrétion la plus absolue. La juge d’instruction a déjà prévenu notre correspondant : « Nous comptons travailler sur ce dossier en toute objectivité, loin des passions et des indiscrétions. Je ne tolérerai aucune ingérence des médias, aucune pression d’aucune sorte. »
Chacun se souvient qu’en 1988, déjà, l’enquête sur le meurtre de la petite fille avait été menée en toute confidentialité, au point qu’il était devenu impossible pour nous, journalistes, de rendre compte de l’évolution de l’affaire. Les raisons de ce black-out sont connues : le traumatisme causé par l’affaire Grégory, à quelques kilomètres de notre département, où l’omniprésence des médias avait troublé la bonne marche de l’enquête. Nous espérons pourtant aujourd’hui être tenus informés, afin de pouvoir diffuser l’information à tous…
L’article s’achevait sur un plaidoyer en faveur du droit des journalistes à communiquer. Je levai les yeux et réfléchis. Je tenais peut-être mon affaire. Le « truc horrible ». L’obsession de Luc. Mais toujours pas d’allusion à Satan.
Et surtout, un détail clochait.
Je relus l’article puis revins à celui de
Dans le texte du 28 juin, on évoquait un « cadavre couvert de moisissures et largement décomposé ». Dans celui du 29, il était écrit que la femme avait aussitôt été identifiée par les pompiers. C’était incompatible. Soit le corps était putréfié et méconnaissable, soit il était intact et identifiable.
J’étendis ma recherche à juillet dans le
J’obtins celles du bureau de l’AFP à Besançon. Je tombai sur une voix jeune et dynamique. Sans doute un stagiaire. Je me présentai et évoquai l’affaire Simonis.
— Vous menez une enquête ? demanda le journaliste sur un ton enthousiaste.
— Je me renseigne. Qu’est-ce que vous pouvez me dire là-dessus ?
— C’est moi qui ai rédigé la première dépêche. Un vrai pétard mouillé. La découverte d’un cadavre près d’un monastère : plutôt alléchant, non ? Surtout celui-là : Sylvie Simonis ! Eh bien, les gendarmes ne nous ont plus jamais donné la moindre info. J’ai contacté le juge, rien. Le légiste, que dalle. J’ai même fait le voyage jusqu’à Notre-Dame-de-Bienfaisance. On ne m’a pas ouvert.
— Pourquoi ce silence ?
— On a voulu nous faire croire qu’il s’agissait d’un accident d’escalade. Qu’il n’y avait rien d’intéressant là-dedans. Moi, je pense que c’est tout le contraire. Ils se taisent parce qu’ils ont découvert quelque chose.
— Comme quoi ?
— Aucune idée. Mais leur histoire d’accident ne tient pas la route. D’abord, Sylvie Simonis n’était pas sportive. Ensuite, on a prétendu qu’elle avait disparu depuis une semaine. Dans ce cas, pourquoi son corps aurait-il été dans cet état ?
— Le corps était vraiment décomposé ?
— Il grouillait de vers, paraît-il.
— Vous l’avez vu ?
— Non. Mais j’ai pu parler avec les pompiers.