Читаем Le Serment des limbes полностью

Dans les tiroirs, je ne découvris que des fragments de vie administrative. Relevés de banque, factures EDF, quittances d’assurances, feuilles de Sécurité sociale… J’aurais pu me plonger dans ces documents mais je n’étais pas d’humeur à éplucher des chiffres. Dans le dernier tiroir, un agenda — des noms, des numéros griffonnés, des initiales. Certains m’étaient familiers, d’autres non, d’autres encore illisibles. Je glissai le carnet dans la poche de ma veste puis, fouillant toujours, je tombai sur un trousseau de clés minuscules. Je levai les yeux : l’armoire, le placard à volet strié…

Le rideau de lamelles s’ouvrit. Des dossiers de toile grise, fermés par une courroie, serrés à la verticale sur un étage, portant sur la tranche la lettre « D » surmontée de dates : 1990–1999, 1980–1989, 1970–1979… Cela continuait ainsi jusqu’au début du siècle. J’attrapai le dossier le plus à droite, intitulé « 2000… », le posai par terre et dénouai sa ceinture de toile.

Deux sous-chemises, portant chacune la date d’une année : 2000 et 2001. J’ouvris 2001 et tombai sur des images de l’attentat du 11 septembre. Les tours bouillonnantes de fumée, des corps chutant dans le vide, des êtres hagards, couverts de poussière, courant sur un pont. Puis d’autres photos apparurent : des cadavres aux yeux crevés, des bustes d’enfants arrachés, sous des gravats. Le commentaire précisait : « Groznyï, Tchétchénie ». Je feuilletai encore : des débris de squelettes, un crâne aux mâchoires serrées sur un slip féminin. Pas besoin de lire la légende. La scène était l’exhumation des victimes d’Emile Louis, dans la région d’Auxerre.

Pourquoi Luc conservait-il ces horreurs ? Je remis le dossier en place puis ouvris celui des années 90, piochant des fichiers au hasard. 1993. Des victimes égorgées, dans une ruelle d’un village algérien. 1995. Des corps démembrés, parmi des flaques de sang et des tôles carbonisées. « Attentat suicide, Ramat Ash Kol, Jérusalem, août 1995. » Mes mains se mirent à trembler. Je devinai qu’une chemise était consacrée à mon cauchemar familier. Corps noirs dans la boue rouge, visages tailladés, charniers à perte de vue : « Rwanda, 1994 ».

Je refermai le dossier avant que les images me sautent au visage. Je dus m’y reprendre à plusieurs fois pour clore la boucle. Une sueur glacée coulait sur mes traits. La peur, revenue en force, comme aux plus mauvais jours. Je me relevai et écartai les stores de la fenêtre, scrutant la cour de briques plongée dans la nuit. Au bout de quelques secondes, je me sentis mieux. Mais j’étais déçu, humilié, encore une fois, de voir à quel point le Rwanda était toujours là, à l’intérieur de moi, à fleur de peau.

Je revins à Luc. Voilà donc à quoi il passait ses soirées et ses week-ends. Chercher, découper, répertorier les plus sinistres exploits humains. Me penchant de nouveau sur les rayonnages, je choisis un dossier à part : « 1940–1944 ». Je m’attendais à un catalogue des violences nazies mais j’eus d’abord droit à des images asiatiques. La vivisection d’une femme, pratiquée par des Japonais en blouses et masques chirurgicaux. La légende indiquait : « Violée et fécondée par le chercheur de l’unité 731 nommé Koyabashi ; celui-là même qui est en train d’extirper le fœtus qu’elle porte. » Les mains gantées du chercheur, le corps sanglant, les hommes en civil, à l’arrière-plan, portant eux aussi des masques. Tout ça relevait de la terreur pure.

La chemise suivante était celle que j’attendais : le nazisme et ses abominations. Les camps. Les corps affamés, rongés, anéantis. Les cadavres poussés à la pelleteuse. Mon regard s’arrêta sur un cliché. Scène quotidienne au bloc 10 d’Auschwitz, 1943 : une exécution où les condamnés, nus, face au mur de carrelage, attendaient que l’officier leur tire une balle dans la tête — la plupart étaient des femmes et des enfants. Un détail me pétrifia : les deux nattes noires d’une petite fille, accentuées par le grain photographique, se détachant sur son dos blanc et frêle.

Je rangeai l’ensemble : j’avais ma dose. La chronologie sur les autres étagères remontait les siècles — XIXe XVIIIe siècle… J’aurais pu nager dans l’épouvante jusqu’au petit matin. Des gravures, des tableaux, des écrits, toujours sur les mêmes thèmes : guerres, tortures, exécutions, assassinats… Une anthologie du mal, une taxinomie de la cruauté. Mais que signifiait ce « D », inscrit au dos de chaque dossier ?

Soudain, je compris.

« D » pour « DIABLE », ou « DÉMON ».

Je songeais au « Dancing with Mister D. » des Rolling Stones.

Les œuvres complètes du diable, ou presque…

La sonnerie de mon portable me fit sursauter.

— Foucault. Je sors d’un dîner avec Doudou.

Il était près de 23 heures. Les images atroces palpitaient sous mes paupières :

— Comment ça s’est passé ?

— Ça m’a coûté un bon gueuleton mais j’ai le tuyau. Ces derniers temps, Luc s’intéressait à une affaire en particulier.

Son élocution était pâteuse. Foucault semblait complètement cuit.

— Quelle affaire ?

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